Qu’apprendre à l’école aux jeunes de demain ?
Qu’apprendre à l’école aux jeunes de demain ?
Christophe Dubois et Vanessa Rasquinet, mars 2025
En matière d’environnement et de développement durable, quels sont les défis contemporains majeurs qui devraient être abordés en fin de secondaire, afin qu’à la sortie de l’enseignement obligatoire, les jeunes soient en mesure de comprendre la société de demain et d’y prendre part ?
Contexte
Dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence, un tronc commun (TC) à tous les élèves est progressivement mis en place, consistant en un parcours d'apprentissage qui se déploie de la 1ère maternelle à la 3e secondaire. Déjà d’application jusqu’en 5e primaire, il sera complètement mis en œuvre jusqu’en 3e secondaire dès la rentrée 2028. À moins que la Ministre de l’enseignement (Valérie Glatigny - MR) ne décide de le limiter à la fin de la 2e secondaire. C’est actuellement en débat, la presse s’en fait régulièrement le relais.
Malgré ces incertitudes, les responsables de l’enseignement travaillent déjà à la suite : le post tronc commun, qui définira ce que les élèves devront apprendre de la 4e à la 6e secondaire, que ce soit dans la filière « transition » (vers des études supérieures) ou « qualifiant » (vers un métier).
Que diriez-vous si vous pouviez prescrire tout ce que les jeunes devraient apprendre à l’école, quelle que soit leur filière, pour qu’ils et elles comprennent la société de demain et ses enjeux socio-environnementaux, et puissent y prendre part ?
Cette question, vous vous l’êtes peut-être déjà posée, lors d’une discussion entre amis ou entre collègues. Cette question, on nous l’a d’ailleurs posée, l’été passé, lorsque l’administration de l’enseignement nous a invité à partager notre analyse (en savoir plus) dans le cadre de la réforme du post-tronc commun organisant l’école et les contenus d’apprentissages de la 4e à la 6e secondaire (voir encadré ci-contre).
Afin de construire une réponse collective, une quinzaine de professionnel·les de l’éducation à l’environnement actifs avec le secondaire, des experts de Canopea mais aussi des enseignant·es dans le secondaire supérieur, nous ont partagé leur vision, lors d’une matinée d’échange, puis en réagissant à distance à un texte martyr.
Alors, pour eux et nous, « quels sont les défis majeurs pour la société de demain à prendre en compte dans les dernières années du cursus des élèves [du secondaire] ? Au regard de ces enjeux, quelles sont les connaissances, compétences et aptitudes essentielles qu’un jeune devrait avoir acquis à la fin de sa 6e secondaire ? »
Donut, DD et limites planétaires
Pour nous, les grands enjeux contemporains sont en partie résumés dans la théorie économique du Donut 1 et les 17 Objectifs de Développement Durable2 (pour lesquels les Nations Unies – dont la Belgique – se sont engagées). Il s’agit de concilier le respect des limites planétaires (le plafond environnemental) et les besoins sociaux de base (le plancher social).
Selon le diagramme en forme de donut développé par l'économiste Kate Raworth, le plancher social correspond aux 12 besoins de base dont personne ne devrait manquer : alimentation, santé, éducation, logement, énergie, accès à un travail digne, égalité des genres, une voix politique, paix et justice, etc. Chacun de ces enjeux devrait pouvoir être abordé lors du cursus des élèves.
Concernant le plafond écologique, les travaux scientifiques du GIEC et de l’IPBES ne laissent pas de place au doute : c’est aujourd’hui l’habitabilité même de la planète qui est en jeu. À l’échelle globale, nous avons déjà dépassé six des neuf limites planétaires au-delà desquelles l’humanité n’a plus la garantie de vivre dans des écosystèmes sûrs, et une septième est également en passe d’être dépassée (acidification des océans)3.
Les conséquences du changement climatique, du déclin de la biodiversité, des diverses pollutions et de l’épuisement des ressources sont dévastatrices et ont un impact sur l’ensemble du vivant, humain et non humain. Ces crises sont directement liées aux activités humaines issues de la logique capitaliste extractiviste. Elles sont aussi interconnectées et se renforcent mutuellement. Elles portent atteinte aux écosystèmes et impactent notre économie, la sécurité alimentaire, la santé, la qualité de vie et influent sur nos démocraties.
Pour pouvoir comprendre le monde et y jouer un rôle positif, les jeunes devraient donc mieux comprendre ces enjeux, dans leur complexité et leurs interconnexions, connaître les alternatives durables et désirables, et savoir comment agir individuellement et collectivement. Plus que des connaissances, il s’agit aussi d’acquérir des « connaissances appliquées » (découvrez dans notre note officielle la liste détaillée des connaissances et compétences identifiées).
Les grands enjeux environnementaux
Agissant dans le champ de l'éducation à l’environnement, nous nous concentrons principalement sur les limites écologiques planétaires et les autres grands enjeux environnementaux suivants :
- La perte de biodiversité : aujourd’hui, la biodiversité décline à un rythme 10 à 100 fois supérieur à celui des derniers millénaires. Au-delà des concepts théoriques, les jeunes gagneraient à étudier les écosystèmes locaux (si possible sur le terrain), comprendre les services écosystémiques et les interdépendances entre espèces (dont humains / non humains). L'impact des activités humaines sur la biodiversité devrait être analysé de manière critique, en repartant des 5 causes : destruction des écosystèmes/des habitats, pollutions et contaminations, surexploitation, introduction d’espèces envahissantes, changements climatiques trop rapides. En plus de cette analyse critique, il faudrait aussi identifier les bonnes pratiques et permettre aux élèves de s'impliquer dans des actions positives pour la biodiversité et la préservation des écosystèmes.
Ressources pédagogiques utiles : Biodiver6D - Les changements climatiques sont déjà là : nous dépassons les projections du GIEC : le franchissement du + 1,5º (en moyenne mondiale lissée) était attendu en 2042 et sera finalement atteint, probablement, en 2030. Les précipitations extrêmes et les sécheresses à répétition ont quasiment 20 ans d’avance sur les projections. Réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030 et devenir climatiquement neutre d’ici 2050 - objectif défini par la Belgique et l’Europe et conditionnant notre futur - va nécessiter une révolution culturelle inédite. Or les élèves de fin de secondaire ont un grand déficit de connaissances en la matière (voir enquête APED4). Ils et elles devraient approfondir leur compréhension des mécanismes du réchauffement climatique, ses multiples causes (différencier les émissions de GES selon les secteurs et types d’activités), mais aussi étudier ses conséquences déjà visibles sur leur territoire et à l'échelle mondiale. Sans oublier d'aborder les solutions d'atténuation et d'adaptation, et le rôle que chacun peut jouer à son niveau, de façon individuelle et collective.
Ressources pédagogiques utiles : Compil’Climat - La transition énergétique : l’énergie est le moteur du développement de nos sociétés. Elle est partout, dans tout ce que nous consommons, produisons, dans la manière dont nous nous déplaçons ou nous nous chauffons. Or, face à l’urgence climatique qui nécessite d’arrêter de consommer des énergies fossiles, face au coût croissant de l’énergie, aux questions sensibles du nucléaire (risques globaux, gestion des déchets, approvisionnement en uranium), aux défis du renouvelable… nous allons devoir transformer radicalement - et rapidement - notre rapport à l’énergie. Consommer moins, produire autrement. Les élèves devraient acquérir une compréhension approfondie des différentes sources d'énergie, de leurs avantages et inconvénients, des moyens de produire autrement, de réduire nos consommations, de prioriser les usages, sans perdre en qualité de vie globale.
Ressources pédagogiques utiles : Dossier « Prêts pour la révolution énergétique ? » (magazine Symbioses) - La gestion durable de l’eau : la gestion durable de l'eau nécessite d'avoir une bonne représentation du cycle global de l'eau (y compris son cycle anthropique, trop souvent oublié) et des enjeux de sa gestion ici et ailleurs dans le monde : menaces fortes sur l'eau potable et risques accrus de sécheresse et d'inondations. L'analyse des conflits d'usage, des technologies de traitement (et leurs limites) et de la gestion intégrée des bassins versants permettrait de saisir les moyens de préserver et mieux gérer cette ressource (au niveau individuel et collectif), et de mieux s’adapter aux effets des changements climatiques (davantage d’épisodes de pluies extrêmement abondantes, mais aussi plus de périodes de sécheresses prononcées).
Ressources pédagogiques utiles : Dossier pédagogique « cycle de l’eau » (magazine Symbioses) - Les pollutions (plastique, chimique, atmosphérique, lumineuse, sonore, etc.) : en Belgique, plus d’1 décès sur 10 est attribué à la pollution environnementale. Cela engendre des coûts exorbitants pour la société : rien que la pollution atmosphérique coûterait en moyenne 1285 € par an par Belge. Cette pollution ne nous impacte pas tous de manière égale, affectant de manière disproportionnée les groupes socialement défavorisés et vulnérables. Face à ces pollutions grandissantes, il est urgent que l'ensemble de la société et les élèves comprennent les causes de ces différentes pollutions environnementales ainsi que leurs conséquences, notamment sur la santé humaine, végétale et animale. Et les alternatives possibles.
- Les modèles économiques durables : les politiques économiques actuelles, nos modes de production et de consommation, basés sur une croissance continue gourmande en ressources, ne sont pas durables sur une planète aux ressources limitées. Outre les théories classiques de l’économie, les élèves devraient pouvoir analyser les limites d’une croissance infinie dans un monde aux ressources finies, et les comparer à des alternatives existantes (économie circulaire, économie du partage, décroissance) afin de comprendre qu'il existe des modèles plus durables de développement et de bien-être.
- Les impacts cachés du numérique : l'empreinte environnementale souvent invisible du numérique va bien au-delà de la simple consommation électrique de nos appareils (10% de la conso électrique mondiale). L'étude du cycle de vie complet des équipements numériques devrait leur révéler les impacts cachés : 4% des GES, l'extraction de terres rares et de métaux précieux (un smartphone contient environ 50 métaux différents), la consommation massive d'eau des data centers, et la problématique croissante des déchets électroniques (57 millions de tonnes générées en 2021 selon l'ONU, dont seulement 17% sont recyclés). Cette compréhension devrait les amener à réfléchir sur leurs usages numériques - comme le streaming vidéo, l’usage des Chatbot, la durée de vie des smartphones - et à découvrir les principes de la sobriété numérique.
Ressources pédagogiques utiles : Dossier « Du clic au dé-clic » (magazine Symbioses)
Les enjeux culturels
Ces enjeux environnementaux sont indissociables d'enjeux plus culturels et pédagogiques :
- Développer l’écocitoyenneté, c’est-à-dire une prise de conscience environnementale associée à la capacité à initier, revendiquer, mener une réflexion critique et des actions porteuses de changements individuels et collectifs pour construire une société démocratique, solidaire, soucieuse du bien commun, sur le long terme.
- Faire face à la complexité de notre monde et à son évolution très rapide et remplie d’incertitudes, par une approche systémique et interdisciplinaire, en développant la résilience, la capacité d’adaptation, la collaboration, la coopération et la créativité.
- Motiver par la construction de nouveaux récits et la découverte d’initiatives inspirantes permettant de construire un futur enviable. Mettre les élèves en mouvement, en capacité d’agir, par le développement de projets collectifs concrets, aux effets visibles. C’est également l’un des leviers permettant de réduire l’éco-anxiété dont souffrent certain·es jeunes.
- Reconnecter à la nature : avec la sédentarité et l’emprise actuelle des écrans sur les jeunes, la re-connexion à la nature est un enjeu pédagogique capital. Nous sommes toutes et tous connectés de manière évidente à la nature par l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons… mais nous n’en sommes pas suffisamment conscients. De même, nous oublions l’importance et les bienfaits du lien sensoriel au vivant. La science nous démontre pourtant que c’est au cœur de notre santé, et un puissant levier pour activer les comportements pro-environnementaux.
- Développer l’esprit critique face à la croissance des fake news, des discours toxiques ou complotistes, de la montée de l’extrême droite, du greenwashing… il est plus que jamais essentiel de donner aux élèves les clés pour analyser l’information et adopter une distance critique, en s’appuyant notamment sur la démarche scientifique et sur l’éducation aux médias.
Voici donc survolé en quelques lignes un panorama des enjeux que nous estimons devoir être creusés avec les élèves de fin de secondaire. Évidemment, bien d’autres défis contemporains mériteraient d’être abordés avec ces jeunes, concernant l’environnement, mais aussi la démocratie, la santé, la politique, les médias, la justice sociale… Nous n’avons ni l’expertise ni le temps de les aborder au sein de cette analyse. Mais les élèves, eux, auraient trois années pour s’y plonger. En espérant que leurs futurs référentiels intègreront nos propositions.
Sources :
1 Économie du Donut (modèle), Wikipédia, 2023.
2 Développement durable, SPW.
3 Planetary Health Check 2024: A Scientific Assessment of the State of the Planet, Caesar, L., Sakschewski, B., Andersen, L. S., Beringer, T., Braun, J., Dennis, D., … & Rockström, J. 2024.
4 Notre enquête : jeunes et climat, que savent-ils ? que veulent-ils ?, Nico Hirtt, 2019