Aller au contenu principal

Article Symbioses

Nos forêts, leurs enjeux

Nos forêts, leurs enjeux

Nos forêts, leurs enjeux

3è trimestre 2019, un article de Céline Teret et Christophe Dubois
Un article du magazine Symbioses n°123 : Apprends-moi l'arbre

Quels sont les enjeux qui sillonnent nos forêts belges ? Pistes de réflexion, au départ d’une balade.


Photo ©SRFB - Céline Teret

Photo ©SRFB - Céline Teret

Un soleil timide en ce samedi après-midi de mai. A l’orée de la Forêt de Soignes, côté Rouge-Cloître, une quarantaine de personnes s’apprêtent à entamer une balade découverte forestière, à l’appel de la Société Royale Forestière de Belgique (SRFB) (1). Première halte, Amir, l’un des deux guides forestiers volontaires du jour, rappelle les trois grandes fonctionnalités de la forêt. L’écosystème forestier, évidemment, ce lieu de biodiversité et de vie, abritant et nourrissant faune et flore multiples. La forêt comme lieu de loisir et de détente, aussi, puisque chaque année, quelque 2 millions d’usagers foulent les sentiers de la Forêt de Soignes. Une fonction économique, enfin, pas la plus usitée en Forêt de Soignes, mais importante en d’autres lieux (en Wallonie, par exemple, la filière bois fournit de l’emploi à 18 000 personnes).

Après avoir passé en revue quelques métiers liés à la forêt, le guide embraye sur la gestion forestière. Il explique la Forêt de Soignes, forêt publique, à cheval sur 3 territoires et gérée par les 3 Régions, bruxelloise, wallonne et flamande. Un vaste espace boisé de 5000 hectares, traversé par une autoroute, un ring et une voie de chemin de fer. L’un des joyaux de cette forêt est sans nul doute ses hêtres, qui représentent environ 75% des essences présentes en ces lieux. Pourtant, les hêtres souffrent de plus en plus. En cause, leur grand âge, mais aussi les changements climatiques. « Le hêtre a besoin d’humidité, explique Amir. Les récentes périodes de sécheresse sont une source importante de stress pour lui. »

Les 3 gestionnaires de la Forêt de Soignes viennent d’ailleurs de plancher sur un nouveau plan de gestion visant, notamment, à diversifier les essences d’arbres et favoriser celles plus résistantes aux changements climatiques actuels et à venir. Augmenter la biodiversité en forêt, c’est aussi favoriser l’accueil des êtres vivants qui la côtoient. Ce n’est donc pas anodin si le groupe s’arrête devant un arbre mort. « Encore debout ou au sol, l’arbre mort a une fonction essentielle, poursuit le guide. Il favorise toute une série d’insectes, d’oiseaux… et donc une biodiversité incroyable. Les gestionnaires de la forêt ont d’ailleurs l’obligation de laisser 3 arbres morts à l’hectare. »

Forêts wallonnes

Et en Wallonie, quelle est la situation ? Nous ne puiserons pas la réponse lors d’une balade, mais en interrogeant des expert·es. Qui sont formel·les : en Wallonie non plus, les forêts ne sont pas épargnées par les changements climatiques. Cela fragilise de nombreuses essences indigènes et les rendent plus sensibles aux attaques d'insectes, comme le scolyte qui ravage actuellement nos forêts d’épicea. « Quand on replante, on doit désormais réfléchir à quelle espèce sera adaptée au climat en 2080 », constate Isabelle Lamfalussy, de la SRFB.

Les forêts couvrent un tiers du territoire wallon, dont la moitié - très morcelée - est aux mains de propriétaires privés. « Qu’elles soient publiques ou privées, nos forêts sont des milieux artificialisés dans leur mode de gestion. Majoritairement des plantations bien alignées d’une ou deux essences, que l’on coupe à blanc une fois à maturité, explique Lionel Delvaux, d’Inter-Environnement Wallonie (IEW), qui plaide pour une sylviculture plus diversifiée et proche de la nature. Il y a là un potentiel extraordinaire en matière de biodiversité, laquelle attirerait sans doute aussi les touristes ». Pour peu que les communes balisent davantage les sentiers et facilitent l’accueil en forêt. « Trop peu de Wallons se sont appropriés la forêt, regrette l’expert. Les habitants vont s’émouvoir parce que l’on coupe un arbre dans la rue, mais personne ne se mêle des plans d’aménagement forestier qui orientent la politique communale sur de nombreuses années. »

Promeneur·euses, scouts, exploitants forestiers, naturalistes, chasseurs…  Il y a beaucoup d’usagers de la forêt. « Un des rôles de l’éducation relative à l’environnement est de faire prendre conscience que toutes les fonctions de la forêt - écologiques, sociales et économiques - sont présentes et doivent être préservées, estime Isabelle Lamfalussy. Souvent l’usager - quel qu’il soit - pense qu’il en a l’usage principal. Développons une vision complexe de la forêt. »

Lionel Delvaux cible sa critique. Il tire à boulets rouges sur le pouvoir du monde de la chasse (2) : « Actuellement, il y a une hiérarchie des usages. La location d’un territoire de chasse va de 40 à 120 euros à l’hectare, ce qui est parfois plus que le revenu de la forêt. Et c’est un revenu immédiat. Les chasseurs ont donc souvent priorité sur les autres usagers. Par ailleurs, ils sont davantage sur le terrain que n’importe quel acteur. Ce sont donc souvent les premiers consultés. Ils ont un pouvoir incroyable. »

La priorité pour IEW : rétablir l’équilibre forêt - faune sauvage. « Il y a en moyenne deux fois trop de sangliers et de cervidés dans les forêts wallonnes. C’est notamment dû au nourrissage, car plus il y a de gibier, plus cher se loue la parcelle. Même si c’est mauvais pour les arbres et la biodiversité forestière. »


Sources

(1) La SRFB organise 12 balades sur l’année en Forêt de Soignes. Infos sur www.srfb.be
(2) https://stopderiveschasse.be/


Articles associés pouvant vous intéresser