Environnement & social : vers une alliance éducative ?
Des droits plus que des devoirs
« Faire de l’éducation à l’environnement avec des personnes précarisées ? Et bien il est temps, parce que quand je vois les quartiers pauvres de ma ville, ce sont de vrais dépotoirs, avec des déchets partout, aucun respect pour l’environnement ». Cette sentence est - hélas ! - aussi répandue que les Porsches Cayenne dans les quartiers chics. Parfois, elle s’accompagne aussi d’un convenu « Ah ! enfin, le gouvernement fédéral a décidé de contrôler les chômeurs fraudeurs, en épluchant leurs factures d’énergie, pour être certain qu’ils soient bien tout seuls dans leur taudis, comme ils le déclarent. » Ces deux « prêt-à-penser » de la responsabilité sociale relèvent du même syndrome : celui de l’arbre qui cache la forêt.
Qu’on ne se trompe pas : en matière de fraude fiscale et sociale comme de nuisances environnementales globales, les riches occupent de loin le haut du pavé. C’est prouvé scientifiquement. Du côté de la fraude, contrairement aux idées reçues, les personnes bénéficiant d’allocations consomment et travaillent moins au noir que la moyenne de la population. Et seuls 5,6% disent que leur allocation ne correspond pas totalement à ce à quoi ils devraient avoir droit1. Autre étude2, même constat : côté environnement, en moyenne, plus notre revenu est élevé, plus nous consommons de carburant et d’électricité, volons en avion, achetons des biens de toutes sortes… A contrario, plus on est pauvre, plus on a de (mal)chance de vivre dans un environnement dégradé. Non seulement en matière de logement - moins grand, moins isolé, plus bruyant, voire insalubre - mais aussi au niveau du territoire : plus d’usines, air et sols plus pollués, moins d’espace et de nature… De là est né aux Etats-Unis le concept de « justice environnementale » : lutter contre les discriminations dans l’implantation d’infrastructures polluantes, pour que la nature et ses ressources restent un bien commun, mais aussi pour que les personnes de toutes les conditions puissent faire valoir leurs droits environnementaux de façon équitable.
Pour l’Education relative à l’Environnement (ErE), il y a là un enjeu important : informer et outiller les personnes en situation de précarité, non pas pour qu’elles assument une responsabilité environnementale qui n’est que très peu la leur, mais davantage pour qu’elles puissent défendre leurs droits. Le droit à un environnement épanouissant, le droit à la parole et à une éducation à l’environnement accessible. En matière d’éducation, il s’agit de concevoir et construire avec, par et pour elles des projets qui leur rendent confiance et bien-être, pour qu’elles osent s’exprimer en public, trouver une autre place dans cette société et y faire valoir leurs besoins et leurs priorités.
Cet appel pour une véritable éducation populaire à l’environnement, fruit d’une alliance éducative à créer entre acteurs environnementaux et sociaux, SYMBIOSES l’avait déjà lancé dans un précédent numéro consacré à la précarité, en 2008. Une éducation populaire dont les formes privilégient l'échange de savoirs tirés des expériences de vie. Et l’on sait que les personnes en situation de précarité vivent dans leur chair la simplicité (in)volontaire et les impacts des politiques actuelles. Une éducation populaire dont l’horizon est de changer les rapports sociaux, de questionner les mécanismes d’exploitation de l’homme et de l’environnement. Une éducation populaire où l’environnement devient à la fois outil et enjeu politique, défini par et pour les milieux populaires. C’est un travail critique inhabituel pour l’ErE belge, inconfortable car potentiellement conflictuel, mais nécessaire.
Cet appel, c’était il y a 7 ans. Aujourd’hui, où en sommes-nous ? Le Réseau IDée, qui fédère plus de 130 associations d’ErE et édite votre SYMBIOSES, y a répondu par la création de valises d’outils pédagogiques « Environnement & travail social » (voir outils p.19), par de nombreuses interventions auprès de professionnels, par un travail de plaidoyer, par l’organisation d’un colloque et de plusieurs journées de Rencontres entre animateurs en ErE et travailleurs sociaux3. Les projets et partenariats entre structures sociales et d’ErE se multiplient, timidement. Certes, la crise banquière et financière passant par là, les pauvres (et les associations) sont un peu plus pauvres et les très riches plus riches. Et la question de la justice fiscale s’est ajoutée à celle de la justice environnementale. Certes, les publics précarisés restent les parents pauvres de l’éducation à l’environnement. Certes, l’ErE parle encore davantage de bons gestes et de bien-être que de politique et de rapports de force. Mais la dynamique est lancée, la préoccupation est croissante, comme le témoigne ce dossier de SYMBIOSES. Poursuivons, surtout, poursuivons.
Christophe DUBOIS
1. Fraude sociale et fiscale en Belgique, étude pilote réalisée par la KU Leuven, l’ULB et l’ULg, 2012. Téléchargeable sur http://goo.gl/gVE8CB
2. Environnement et inégalités sociales, Université Libre de Bruxelles, 2007.
3. Les actes très fournis sont à télécharger sur www.reseau-idee.be/colloque-changement-social et www.reseau-idee.be/rencontres
Christophe Dubois
Directeur général
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