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Symbioses - Magazine - Editorial

Magazine Symbioses n°112 : Où trouver le temps ?

Symbioses - Où trouver le temps ?

Nous vivons dans une société malade du temps. L’augmentation de la vitesse de déplacement, de transmission de l’information et de production nous permet en effet d’aller beaucoup plus vite que nos grands-parents. Mais à quoi sert ce temps gagné ? Souvent, à remplir davantage nos vies, à courir plus vite pour en faire plus. Selon une étude menée auprès des enseignants, le manque de temps est d’ailleurs le premier frein à l’éducation à l’environnement à l’école. Ce nouveau numéro de SYMBIOSES se penche sur notre société de l’accélération, sur ses origines et ses impacts sur les personnes, sur l’environnement, sur l’éducation. Il nous emmène surtout à la découverte d’alternatives, dans ces poches de décélération qui naissent un peu partout : à l’école, en ville, à la maison, dans l’assiette… On y prend le temps, et c’est temps mieux ! 

Date de parution : quatrième trimestre 2016

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Editorial

Où trouver le temps ?

Vivre en état d'urgence


On vit dans le culte de l’urgence, dans une société malade du temps1. Nous voyons défiler en accéléré des journées trop chargées, passées à courir. Courir pour ne pas se laisser dépasser par notre liste de choses à faire. Des listes que nous remplissons frénétiquement, tel un puits sans fond. Progressivement, nos rythmes de vie s’accélèrent. Comme si le temps rétrécissait.


Trop souvent, nous courons sans réfléchir, comme des machines. Et les machines nous font courir. L’augmentation de la vitesse de déplacement, de transmission de l’information, et de production nous permet en effet d’aller beaucoup plus vite que nos grands-parents. L’avènement de la voiture individuelle et la démocratisation des voyages en avion nous font mesurer l’espace non plus en kilomètres mais en minutes. Grâce à internet, un message ne prend qu’un clic pour traverser les continents, quand une lettre prenait des semaines. Des machines lavent désormais notre linge, notre vaisselle. Où va ce temps libéré ? Notamment à regarder des écrans2. Les smartphones accélèrent la cadence. Nos contacts, nos journaux et notre boulot sont désormais avec nous tout le temps, partout, dans notre poche. Un temps d’attente, je dégaine, je reçois, j’envoie3. La peur du vide. C’est le paradoxe : « Plus on économise le temps, plus on a la sensation d’en manquer », nous dit le sociologue Hartmut Rosa (découvrez son interview p.6). Chaque minute gagnée est une occasion de remplir davantage nos vies, d’en améliorer le bilan, dans une vision quantitative, pour ne pas dire capitaliste.


Mais ne nous y trompons pas : les évolutions technologiques forment en réalité l’arbre qui cache la forêt. Elles ne sont qu’un instrument du diktat de la croissance. Dans un univers concurrentiel, il faut courir pour ne pas être dépassé, déclassé. A contrario, la lenteur est souvent assimilée à de la paresse, de la faiblesse ou de l’inconsistance.


On nous incite - à grand renfort de publicités - à consommer, plus et plus vite. Car la machine doit produire, toujours plus. On peut désormais faire ses courses - les bien nommées - 24 heures sur 24 et 7 jours sur 74. L’idéal capitaliste d’une vie sans pause. Vite acheter, vite consommer, vite jeter.


Cette urgence économique impose son rythme effréné à nos choix de société. Les récentes négociations politiques autour du CETA, le traité commercial avec le Canada, en sont un exemple révélateur. Au nom d’une croissance économique éventuelle, d’un large marché intercontinental, il eut fallu signer, et vite ! Ce qu’une large majorité de nos élus wallons et bruxellois francophones demandaient, avant tout, c’était du temps. Car il y a dans la démocratie une exigence de patience. Il fallait du temps pour s’assurer que nos politiques, pas seulement économiques mais aussi sociales et environnementales, soient davantage respectées. Au quotidien, nous dit Hartmut Rosa, la majorité de nos actions ne sont pas guidées par nos valeurs, mais par notre agenda. L’actualité ne lui a pas donné tort bien longtemps.


L’accélération envahit même le monde scolaire. Selon Pierre Waaub (lire son interview p.8), l’école doit répondre à de plus en plus d’attentes sociales, tout en étant cadenassée dans un nombre défini de périodes qui se succèdent avec la précision d’un métronome, ou plutôt d’une sonnerie. Ce n’est donc pas un hasard si, pour les enseignants et les directions, le manque de temps est le premier frein à l’éducation à l’environnement5.


La vitesse nous grise, mais elle nous consume aussi. Nous courons au burn out. Un burn out individuel et sociétal. Car l’accélération épuise l’homme, ses enfants, mais aussi la planète. Ressources naturelles et énergétiques, climat, biodiversité, pollutions : nous ne lui laissons pas le temps de se régénérer ou de s’équilibrer. La panne sèche est annoncée.


C’est que, à force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel6. Heureusement, un peu partout, des poches de décélération se créent. C’est dans ces oasis de temps suspendus que ce dossier de SYMBIOSES vous emmène. A l’école, en ville, à la maison, dans l’assiette, les médias, on prend le temps, on le savoure même, avec délectation. Temps mieux.


Christophe DUBOIS



1. Nicole Aubert, « Le culte de l’urgence. Une société malade du temps », Flammarion, 2004.
2. Au cours de sa vie, le Belge moyen passe plus de temps à regarder la télévision qu'à effectuer du travail rémunéré
(DG Statistiques du SPF Économie, 2015).
3. Les Belges de 18-30 ans passent en moyenne 3h12 par jour devant leur smarphone, et le consultent quotidiennement
plus de 150 fois (étude TNS, 2015).
4. Jonathan Crary, « Open 24/7 », La Découverte, 2014.
5. Selon une enquête menée auprès d’un millier d’enseignant(e)s et directeurs(trices), dans le cadre des Assises de
l’ErE à l’école. Voir www.assises-ere.be
6. Edgar Morin, « La méthode, Éthique », Seuil, 2004

 

Christophe Dubois

Directeur général 

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