Migrations
Tout est lié !
Le 11 juillet, en mer Méditérannée, l’ Aquarius, navire de Médecins Sans Frontières, repêche un bateau de migrants tentant de quitter la Lybie pour rejoindre l’Europe. A son bord, une femme, Constance, vient d’accoucher, là, au milieu d’une embarcation de fortune, entourée d’une centaine d’inconnus. Après un long périple à travers l’Afrique, alors que son enfant était sur le point de voir le jour, cette jeune femme a préféré monter à bord et quitter la terre ferme et hostile de Lybie. C’est dire si le risque pris n’était rien face à ce qu’elle venait de quitter. Comme elle, chaque année, des milliers de femmes, enfants et hommes se déracinent et prennent la route, croisant sur leur chemin milices tyranniques, frontières hautement sécurisées, mers cimetières…
Le 21 août, à Bruxelles, la police ratisse les allées du parc Maximilien dans le but de chasser, voire d’arrêter, les migrants qualifiés
d’« illégaux » (qualificatif qui ne signifie rien d’autre que de ne pas être en possession des papiers adéquats). Ceux qui auront réussi à quitter les lieux à temps retrouveront un parc « nettoyé », dixit le Secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, Théo Francken. Disparus, les sacs de couchage distribués par des associations et citoyens. Bruxelles Propreté a fait le ménage. Au maintien de l’ordre, s’ensuit le maintien de la propreté.
Le 17 septembre, Théo Francken, encore lui, invite une délégation venue du Soudan afin d’identifier les Soudanais présents au parc Maximilien. Le but de la manœuvre : renvoyer au pays les « illégaux » (voir plus haut). Ceux-là même qui, rappelons-le, ont fui une dictature dont le président est poursuivi pour crime contre l’humanité...
Au même moment, Charles Michel, Premier Ministre, tout en soutenant la politique cynique de son Secrétaire d’Etat, en appelle à la tribune des Nations Unies à « un Pacte mondial pour une migration sûre ». Sans rire. Sans liens, il évoquera également les ouragans qui se sont abattus en septembre sur les Caraïbes et « le rappel de l'extrême urgence à agir, tous ensemble, contre le réchauffement climatique ».
Pourquoi parler de « tout ça » dans Symbioses, magazine d’éducation relative à l’environnement ?
L’éducation à l’environnement telle que nous voulons la porter participe d’une conscience politique, d’un engagement personnel et collectif pour une société plus écologique mais aussi plus juste et solidaire. L’aide aux migrants ne doit pas être assumée par les seuls humanitaires et citoyens bénévoles. Il y a, là aussi, une place pour les acteurs de l’éducation à l’environnement.
D’autant que l’environnement est en filigrane de toutes ces migrations. Il n’y a pas, d’un côté, les réfugiés politiques « tolérés » et de l’autre, les migrants économiques « refoulés », ou encore ces millions de migrants climatiques « ignorés ». Il y a des hommes, des femmes et des enfants qui s’arrachent à leur foyer pour fuir une situation devenue invivable pour toutes ces raisons, politiques, économiques, environnementales (lire l’interview de F. Gemenne p.6). Tout est lié, et nous sommes tous liés. Comme dans tout numéro de Symbioses, nous œuvrons à souligner la complexité du monde, les liens indissociables qui se nouent entre différents enjeux
secouant et mobilisant notre société. Il n’y a à nos yeux ni éducation, ni protection de l’environnement, sans dignité et sans humanité.
Une éducation à l’environnement qui peut offrir des racines et des ailes à ces déracinés d’ailleurs. Les aider à s’ancrer dans ce nouveau territoire qui est le nôtre, les accompagner dans l’apprentissage d’un environnement inconnu. Leur permettre aussi, par le contact apaisant avec la nature, de s’envoler un instant, loin des urgences du quotidien et des traumatismes du passé.
Une éducation à l’environnement qui aide également les Belges bien ancrés chez eux, non pas seulement à protéger leur environnement, mais à l’ouvrir, à partager leur territoire. A casser les préjugés et apaiser les craintes, à mieux comprendre et accueillir ces Nigérians, Syriens, Afghans… venus d’ailleurs. A appréhender les migrations humaines qui au fil des siècles ont composé notre pays, nos familles, notre environnement social.
En intitulant ce dossier « Migrations » au pluriel, le parti pris fut aussi d’aborder tant les migrations humaines que les migrations animales et les déplacements de végétaux. Tout est lié, on le répète. « Le fil conducteur de toute migration est la recherche d’un mieux-être et c’est aussi vrai pour les plantes, pour les animaux que pour les humains », nous disait Anne Morelli dans un précédent numéro de Symbioses (n°47, datant de 2000). L’idée n’étant pas de mettre à égalité des situations vécues, ni d’entrer dans des comparaisons indélicates, mais bien d’analyser cette question et ses enjeux dans leur globalité. Pour poser un autre regard sur les migrations, aussi multiples soient-elles.
Christophe DUBOIS & Céline TERET