L'ErE fait de son genre
Unir plutôt qu’opposer
A plusieurs reprises déjà, Symbioses s'est creusé les méninges pour croiser l'éducation à l'environnement avec des enjeux d'apparence plus éloignés. Ce fut le cas pour les numéros consacrés au handicap (n°89), à la précarité (n°80) ou encore, plus récemment, aux migrations (n°116). Dans le même ordre d'idées, la question du genre et de l'égalité hommes-femmes nous titille depuis un bon bout de temps. Plus que pour d'autres dossiers, cette question a nécessité de faire du chemin, en interne, pour s'approprier les concepts et pour s'accorder au sein de notre équipe.
Mais cette fois, ça y est. Symbioses s'empare pleinement des lunettes genre1 et les pose sur le nez du secteur de l'Education relative à l'Environnement (ErE).
Pourquoi ? Parce que les inégalités hommes-femmes sont encore galopantes partout dans le monde (oui, même « chez nous »2). C’est un fait établi et particulièrement mis en lumière dans l’actualité ces derniers mois : les femmes sont, davantage que les hommes, victimes de discriminations et de violences, psychologiques, physiques ou économiques. L'ErE ne peut faire fi de ce constat. « Les mécanismes de domination masculine, c'est l'eau de notre bocal : on baigne dedans sans s'en rendre compte », soulignait Claudine Lienard, du Monde selon les femmes, lors de notre comité de préparation. En d’autres termes, le genre, c’est notre environnement.
Et pourtant, on continue à faire avec… ou plutôt à faire sans s’en rendre compte. Au détriment des filles et des femmes, on l'a dit. Au détriment, aussi, des garçons et des hommes, qui tentent de se démarquer du culte de la virilité et de la figure du mâle dominant, qui tentent de sortir des rangs de La fabrique des garçons3 . Stéréotypes et représentations sexuées, suggestions et injonctions genrées, s’infiltrent partout, tout le temps. Comme ça, l’air de rien, dans le quotidien de tout individu.
Au fil de ce dossier, vous découvrirez (contre toute attente ?) combien cette question du genre est liée à celle de l'environnement et à celle de l'éducation. Nous partons du postulat que les acteurs et actrices du monde éducatif, en classe, en animation, en formation, au contact de jeunes et moins jeunes, reflètent ces enjeux (et bien d’autres) dans leurs pratiques de terrain. En prendre conscience, c'est déjà agir en faveur de l’égalité.
Par ailleurs, l’Education relative à l’Environnement invite à observer le monde dans toute sa complexité et à œuvrer pour plus d’égalité et de solidarité. L’ErE ce n’est pas que parler de ressources naturelles et d’environnement. C’est aussi traiter des relations à l’autre, et à soi. La relation au milieu de vie est étroitement liée aux relations interpersonnelles et sociales. Il ne s’agit pas de s’éloigner de nos missions, ni de s’emparer des luttes pleinement et efficacement portées par d’autres forces vives. Il s’agit plutôt de croiser les regards, de faire converger les luttes. Comme nous l’avons déjà fait avec le secteur du travail social ou celui de l’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire. Encore peu explorée par l’ErE, l’égalité des genres est donc une occasion de plus de s’ouvrir à d’autres enjeux, de s’inspirer d’autres combats, d’échanger avec d’autres actrices et acteurs. Adopter une approche genre, voire intersectionnelle4, ne peut que renforcer le secteur de l’ErE. Vous le verrez dans ce dossier, actuellement, cette approche est encore principalement investie par les associations féministes. Mais gageons que dans un futur proche, davantage d’hommes s’empareront de la question. Et qu’ensemble, ils et elles feront mouvement pour plus d’égalité, moins d’assignations et de discriminations en tous genres.
Enfin, vous le remarquerez peut-être, ce numéro de Symbioses s’est essayé à l’exercice de l'écriture inclusive. Et il continuera. Parce qu’œuvrer pour plus d’égalité passe aussi par l’écriture et la communication. Parce que la langue, aussi, peut évoluer avec la société ou la faire évoluer. Chacun agit à son échelle, aussi symbolique soit-elle.
Symbioses vous invite maintenant à faire un pas de côté pour regarder votre environnement avec des lunettes genre. Et il est fort probable que ce changement de perspective ne vous laissera pas intact·e.
Céline TERET
1. La notion de genre est abordée dans ce dossier en terme de construction sociale et de rapports sociaux (cfr définition p.6). Nous n’aurons pas l’occasion d’aborder ici les questions plus spécifiques liées à l'identité de genre et à la diversité des orientations sexuelles. Des associations telles que Genres Pluriels (www.genrespluriels.be) et AlterVisio (www.alter-visio.be) sont spécialisées dans ces questions.
2. Pour s’en rendre compte, il suffit de parcourir « Femmes et hommes en Belgique : statistiques et indicateurs de genre », de l’Institut pour l’égalité des hommes et des femmes, 2011, sur http://igvm-iefh.belgium.be
3. Du titre de l’ouvrage (2011) de Sylvie Ayral qui fait écho à La fabrique des filles (2010) de Rebecca Rogers et Françoise Thébaud.
4. La notion d’intersectionnalité fait référence à l’entremêlement des discriminations: raciales, sociales, de genre ou encore liées à l’orientation sexuelle, à l’âge, au handicap…
Céline Teret
Journaliste