CPC : Chantier Prometteur en Cours (... ou Cours de Philosophie et de Citoyenneté)

Ça y est : l’éducation à la philosophie et à la citoyenneté a fait son entrée officielle dans nos écoles. Depuis septembre dans le secondaire, un an plus tôt dans le fondamental. Un petit chambardement (lire article p.8). Pour comprendre les enjeux - éthiques, moraux, sociaux, économiques, politiques, environnementaux - dans leur complexité, tou·te·s les élèves devront désormais atteindre les mêmes compétences, que l’on pourrait résumer de la sorte : se questionner, s’informer, se positionner, s’engager. Librement, consciencieusement. C’est l’affaire de l’école, mais pas uniquement. Car apprendre à penser et à agir, individuellement et collectivement, n’est pas l’apanage des enseignant·e·s. Cela s’apprend et se vit aussi - ou surtout - dans les familles, les quartiers, les associations.

Un chantier ambitieux, encore en construction et en recherche d’outils. Ce Symbioses en est un.

Notre dossier le démontre : l’éducation à la philosophie et à la citoyenneté peut aussi être une Education relative à l’Environnement (ErE). Et inversement. On parle alors d’écocitoyenneté. Une citoyenneté enrichie d’une dimension écologique, engageant nos droits autant que nos responsabilités à l’égard de l’environnement.

Eduquer à cette écocitoyenneté, c’est aider à prendre conscience des liens essentiels entre société et nature. Entre justice et responsabilité.

On est bien loin de l’injonction à économiser l’énergie, manger durable ou trier ses déchets, qui trop souvent fait peser sur les épaules de l’individu isolé le poids des crises écologiques et celui de notre avenir. « L’ écocitoyenneté s’inscrit au cœur de la dimension politique de l’éducation relative à l’environnement. Elle va au-delà de l’écocivisme, de l’adoption de gestes individuels en réponse à des consignes convenues. Elle se caractérise par sa dimension collective, critique, éthique et politique », nous disait la professeure et chercheure en ErE Lucie Sauvé dans un précédent numéro de Symbioses¹. Une éducation politique (du grec polis, « qui concerne l’organisation de la cité », donc les citoyen·ne·s), qui démonte le système pour mieux en comprendre les forces et les rouages. Mais aussi une éducation critique et émancipatrice. C’est là qu’intervient la philosophie.

L’approche philosophique apporte un précieux contrepoids à l’écocitoyenneté : elle est met à distance le moralisme et les discours culpabilisants de type « bon·ne·s » et « mauvais·es » citoyen·ne·s. Elle permet d’interroger nos valeurs avant d’entrer dans l’action.
Il ne s’agit pas de dire quoi faire et quoi penser, mais bien de questionner, de débattre, de s’ouvrir aux points de vue divergents, voire dérangeants, de faire le tri entre croyances, connaissances et manipulations. Pour ensuite se positionner. En connaissance de cause. Cela exige de ne pas faire l’économie de la complexité, de fuir le biais de confirmation² et la philosophie de comptoir. Voilà l’occasion de penser l’ErE comme émancipatrice et pas seulement réparatrice.

Dernière étape, de ce processus éducatif ardu mais passionnant : s’engager activement, si possible collectivement, selon ses propres valeurs et contraintes. En commençant par vivre l’écocitoyenneté entre nos propres murs, pas seulement durant une ou deux heures de cours. Quels sont, au sein de mon école, mon association ou ma famille, les espaces d’expressions, de décisions et d’actions concrètes ? Comment ne pas faire régner la voix du plus fort ? Quelles tensions entre engagement, militance et éducation ? Comment former mes élèves à la philo et à la citoyenneté si je n’ai moi-même jamais eu la chance de me frotter à ces questions ?

Autant de questions pour écocitoyen·ne·s en construction. Attention, chantier en cours.

Christophe DUBOIS

1. « Identité, engagement, résistance : un chantier d’apprentissages multiples », Lucie Sauvé, Symbioses n°110, 2016.
2. Biais cognitif qui consiste à privilégier les informations confirmant ses idées préconçues