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Symbioses - Magazine - Editorial

Magazine Symbioses n°120 : Quelle place pour les émotions ?

Symbioses - Quelle place pour les émotions ?

Joie, colère, tristesse, peur, dégoût… Les émotions sont au cœur de notre relation à l’environnement. Si elles varient selon les thèmes, les personnes, les moments, elles sont néanmoins toujours là, au creux du ventre. L’éducation à l’environnement s’en est d’ailleurs fait une spécialité. Du plaisir dans la nature à la peur des changements climatiques. Comment l’éducateur peut-il prendre en compte ses émotions et celles de son public ? Quelle limite entre formatrice et psychologue ? Comment passer de l’émotion à l’action ? Par ce dossier de Symbioses, nous vous proposons d’ouvrir les cœurs, non pas pour endormir les têtes, mais pour actionner les mains. 

Date de parution : quatrième trimestre 2018

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Editorial

Quelle place pour les émotions ?

Éduquer en plein cœur


A Paris, il y a trois ans, Laurent Fabius, président de la 21e Conférence sur le climat, les yeux mouillés de joie, annonce que les nations du monde s’engagent à rester sous la barre des 2°C de réchauffement. Espoirs. Deux ans plus tard, dégoût. Le président climatosceptique Trump envoie valser l’engagement des Américains, deuxièmes plus gros émetteurs de CO2.


Pourtant, cet été, la sécheresse, on l’a ressentie avec inquiétude. Confirmation le mois passé, lorsque le GIEC publie une nouvelle fois les effets explosifs d’un réchauffement de 2°C : vagues de chaleurs, pluies torrentielles, extinctions d’espèces, hausse du niveau de la mer. Boum ! Impacts sur la santé, sur les moyens de subsistance, sur la sécurité humaine… Tristesse. Leur message est clair : il faut à tout prix rester sous la barre des 1,5°C de réchauffement. Investir massivement pour y parvenir. Car, au rythme actuel, les températures pourraient augmenter de 5°C d’ici la fin du siècle. Ça fait peur.
Puis badaboum ! Il y a quelques jours, une étude scientifique1 constate que seulement 16 pays (sur 196) ont engagé des actions suffisamment ambitieuses par rapport à ce qu'ils avaient promis. Colère. La Belgique, dont les émissions augmentent à nouveau, fait partie des mauvais élèves. Une honte.
Pourtant, #ilestencoretemps2. Partout, des citoyen·ne·s prennent les choses en main. Ils et elles changent déjà leur alimentation, leurs modes de transport, isolent leur maison, et y prennent plaisir.
Et le 2 décembre prochain, au premier jour de la COP24, nous défilerons tous ensemble dans les rues de Bruxelles - nous rejoindrez-vous ? - pour demander plus d’action politique pour le climat3. Dans la joie.


Joie, colère, tristesse, peur, dégoût…  Le climat charie son lot d’émotions. Ces émotions sont d’ailleurs au cœur de notre relation à l’environnement. Si elles varient selon les thèmes, les personnes, les moments (p.7), elles sont néanmoins toujours là, au creux du ventre. Et pourtant, trop souvent, l’éducation les ignore. Dans l’éducation formelle, la raison qui a gagné la bataille entre cerveau gauche (le cartésien) et cerveau droit (l’intuitif)4. Mais pas en éducation relative à l’environnement (ErE). Les émotions, l’ErE s’en est même fait une spécialité. Avec une préférence assumée pour la joie et l’émerveillement (p.8). Pas juste pour se faire du bien et être heureux, mais aussi parce que cela donne envie d’agir. Pour protéger, il faut aimer.


Laisser la place à toutes les émotions

Certes, le plaisir et la passion sont l’essence qui fait tourner le moteur éducatif. Mais devons-nous pour autant poser un couvercle sur la marmite bouillonnante des émotions plus difficiles ? Au risque de participer à une « happycratie »5, cette industrie du bonheur  - avec ses coachs en développement personnel et autres best-sellers de psychologie positive - qui nous ferait croire qu’être heureux s’apprend, quels que soient notre environnement et les difficultés de la vie ?
Pablo Servigne, auteur de « Comment tout peut s’effondrer » (voir Outils p.19), met en garde contre « l’écologie bisounours consistant à être tout le temps positif, pour aller vers l’action ». Avec d’autres, il invite les rêveurs et rêveuses d’un autre monde à accueillir toutes les émotions, même les plus difficiles. Face à l’enchevêtrement de crises environnementales et humaines, actuelles et futures, il serait nécessaire de pouvoir exprimer sa tristesse, sa peur, sa colère ou son impuissance. De leur faire une place au sein de nos pratiques éducatives. Car de là aussi peut naître une envie d’agir.

Ne pas laisser toute la place aux émotions

Evidemment, il ne s’agit pas de développer une « stratégie de l’émotion »6 qui éteindrait tout débat d’idées, toute connaissance factuelle, tout questionnement philosophique. Laissons cela aux mauvais discours politiques et médiatiques. Il s’agit au contraire d’éveiller à la fois notre raison et nos émotions, notre cerveau gauche et notre cerveau droit, la tête et le cœur. Car ce sont les deux logiciels préparant nos décisions et nos actions. Par ce dossier de Symbioses, nous vous proposons d’ouvrir les cœurs, non pas pour endormir les têtes, mais pour actionner les mains.


Christophe DUBOIS



1. http://bit.ly/etude-climat
2. https://ilestencoretemps.fr/
3. Plus d’infos sur www.claimtheclimate.be
4. Les neurosciences contredisent néanmoins cette croyance populaire distinguant cerveau droit et cerveau gauche. En réalité le système cognitif, raisonné, est situé au niveau du cortex cérébral, alors que le système émotionnel avec lequel il interagit sans cesse est pris en charge notamment par des ganglions situés sous ce cortex.
5. « Happycratie : Comment l'industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies », E. Illouz et E. Cabanas, Éd. Premier Parallèle, 2018   
6. « La stratégie de l’émotion », A.-C. Robert, Éd. Lux, 2018. Interviewée par le Nouveau magazine Littéraire sur http://bit.ly/strategie-emotion

 

Christophe Dubois

Directeur général 

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