Manifs climat, et après ?
Pour une pédagogie de l'espoir
« La vraie question n’est pas de savoir pourquoi les gens se révoltent, mais pourquoi ils ne se révoltent pas », disait Wilhelm Reich. Cela vaut pour le climat, comme pour toutes les autres injustices. Les prédictions annoncées depuis des décennies par le GIEC et d’autres organismes sont aussi inquiétantes que prudentes. En 2015, 195 pays signataires de l’accord de Paris se sont engagés à maintenir l’augmentation des températures moyennes sous 2°C, voire 1,5°C, d’ici 21001.
Or, depuis, leurs émissions de gaz à effet de serre continuent à augmenter, ce qui mènerait le monde à un réchauffement moyen d’environ 3°C. Ce serait quoi, un monde avec +3°C ? Des canicules et des inondations extrêmes et à répétition, une insécurité alimentaire aiguë, des déplacements massifs de populations… Pour ne parler que de quelques conséquences humaines. Pourtant, les années passent, le phénomène s’accélère, et les Etats, les entreprises et les citoyen·nes peinent à impulser les changements suffisants...
Face à ces constats, des centaines de milliers de jeunes (et de moins jeunes), à travers le monde, ont décidé de se révolter, de désobéir. De quitter les bancs de l'école pour scander ensemble leur indignation autant que leurs espoirs. Ce faisant, ces élèves s'émancipent d'une éducation formelle - celle du savoir traditionnel transmis par le maître - à travers une éducation informelle, celle du savoir qui se construit avec les paires, dans la rue et dans l'échange.
Les jeunes rencontrées en préparant ce numéro de SYMBIOSES le confirment : en participant aux manifestations, ils et elles ont approfondi leurs connaissances des changements climatiques, ont appris à débattre, à se forger un avis, à s'organiser, à s'engager. Pourtant, pour mieux cerner les enjeux climatiques, l'autodidactisme ne suffit pas toujours. La récente enquête de l'APED le confirme (lire p.70) : la conscience de l'urgence climatique est clairement en hausse, mais les connaissances sont en recul.
Parce que l'école a un rôle essentiel à jouer dans cette affaire, les enseignant·es de Teachers for Climate en appellent à ce que « les causes, conséquences et solutions du réchauffement climatique figurent de manière claire et concrète dans les cours et les évaluations aux 2e et 3e degrés »2. En l'occurrence, il ne suffit pas seulement d'ajouter une thématique au programme. C'est d'une éducation à la complexité dont les jeunes - et les adultes - ont besoin3. Une éducation qui fait des liens. Des liens entre la crise climatique, le capitalisme, la montée des nationalismes et des racismes. Des liens entre nos modes de vie, le système de production et de consommation et les impacts socio-environnementaux. Une éducation qui donne une place à l'incertitude, qui apprend à créer, à coopérer, à s'adapter, à s'engager. Autant de compétences nécessaires pour faire face au prévu et à l'imprévu. Pour éviter la barbarie4.
L'école n'est pas seule dans ce chantier titanesque. Petit à petit, des associations développent des outils et des formations5 pour accompagner les enseignant·es et les jeunes face à ces enjeux climatiques complexes. Les parents aussi sont en première ligne. Les jeunes manifestantes que nous avons interviewées ont en effet un point commun : leur sensibilité pour l'écologie vient de leur famille plus que de leurs cours ou d'une animation.
Autre point commun entre ces jeunes : un idéalisme réaliste, une force bouillonnante, autant qu'un risque de fatigue, de désenchantement, de dépression. Si l'urgence est à la protection du climat, elle est aussi à la protection de notre jeunesse. Protégeons-la des vieux réacs, misogynes, médiatico-philosophes anti-Greta... pour qui « ces petit·es jeunes imparfaites qui simplifient le monde n'ont rien à nous apprendre ». Protégeons aussi nos jeunes des gourous de l'apocalypse qui alimentent l'écoanxiété. Et de ceux et celles qui se reposent sur les générations futures pour ne pas agir dès aujourd'hui. Stop au transfert de charge !
Plus que tout, ce dont ces jeunes, et de nombreux adultes, ont soif, c'est d'une pédagogie de l'espoir, c'est de naviguer dans les marges, pour découvrir et prendre part aux alternatives poussant de partout, concrètement, humblement. C'est d'imaginer un futur désirable où le progrès se mesure en termes de qualité et non de quantité. Certes, il y aura des sacrifices, il faudra restreindre notre consommation, renouveler notre démocratie, mais nous pouvons inventer des vies plus heureuses et solidaires de bien des façons.
Christophe DUBOIS
1. Les Etats-Unis ont depuis fait marche arrière
2. Voir https://teachersforclimatebelgium.weebly.com
3. Téléchargez l'outil Complexi'clés - Clés pédagogiques vers une pensée complexe en ErE, http://bit.ly/complexicles
4. Naomi Klein, Nous entrons dans l'ère de la barbarie climatique, The Guardian, sept 2019, http://bit.ly/climat-barbarie
5. Lu 2/12, à Namur, l'IEP organise une formation pour « accompagner les jeunes dans leurs engagements pour le climat » : http://institut-eco-pedagogie.be
Christophe Dubois
Directeur général
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