Eduquer aux communs
Notre avenir communs
40,60°C mesurés à Kleine Brogel le 25 juillet dernier. Record (encore) battu. Nos nappes phréatiques et nos cours d'eau se vident. La sécheresse prend désormais ses quartiers d'été en Belgique. Comme ailleurs en Europe. Ou en Australie. Là-bas, les changements climatiques sont tenus responsables de la disparition en fumée de 8 millions d'hectares. Et de milliards d'animaux. Record (encore) battu.
Sécheresse et manque d'eau, un cocktail incendiaire. D'autant que pour répondre à ce manque d'eau, le gouvernement australien - qui nie par ailleurs les changements climatiques - a décidé il y a quelques années de fixer des quotas d'eau aux principaux consommateurs (fermiers, industriels et villes), offrant à des investisseurs privés d'acheter des réserves dont le prix fluctue quotidiennement selon l'offre et la demande. Un prix qui ne cesse donc d'augmenter. Car ce qui est rare est cher. Et ce qui est cher serait soi-disant respecté. En Australie et ailleurs, les géants de la finance se battent pour s'emparer de ce nouvel or bleu et spéculent sur la sécheresse. Vous paierez, ou vous mourrez, car l'eau est partout : dans chacun des aliments de votre assiette ou dans votre gourde, évidemment, mais aussi dans votre ordinateur, votre vélo, vos vêtements. Les financiers se moquent du choléra et des flammes. « Ce n'est pas parce que l'eau est la vie qu'elle ne doit pas avoir un prix », confirme d'ailleurs l'un d'entre eux1. Car pour les défenseurs du capitalisme néolibéral, ce qui n'a pas de coût n'a pas de valeur.
Tout ce qui n'est pas approprié par quelqu'un est menacé », ose Corentin de Salle, directeur scientifique du Centre d'études du MR2. De là à privatiser les baleines et à les flanquer de capteurs GPS, il n'y a qu'un pas, que le penseur libéral saute sans ciller. Soumettons donc nos ressources vitales et autres organismes vivants au joug du marché qui, de sa main invisible, protégera la poule aux oeufs d'or. Privatisons même les réserves naturelles, pour interdire qu'on y touche. Privatisons la terre, l'eau, l'air, les forêts, les semences... mais aussi la culture, la connaissance. Cela se fait depuis plus de deux siècles et s'est accéléré depuis 30 ans. Sa ns succès, sinon de creuser les inéga lités et d'accroître l'épuisement des ressources.
Il y a, en réalité, une alternative à l'accaparement des ressources. Entre le tout au marché et le tout à l'Etat - lequel étant luimême trop souvent soumis au marché - il existe une troisième option, celle des communs, popularisée par la lauréate du prix Nobel d'économie, Elinor Ostrom. Partout, des communautés s'auto-organisent pour gérer, protéger et partager des ressources naturelles et informationnelles. Des systèmes d'échanges de savoirs aux systèmes d'irrigation, des logiciels libres aux jardins partagés. Les villageois de Tòrbel, en Suisse, gèrent en commun leurs forêts alpines, leurs prairies et leur eau d'irrigation depuis 1224. Pas les pouvoirs publics seuls, mais biens les habitant·es ensemble.
Pour comprendre les communs, leurs formes multiples, les attitudes des acteur•trices, leur efficacité mais aussi leurs luttes et leurs difficultés, il faut se frotter aux situations réelles, sur le terrain. C'est ce à quoi vous invite ce numéro de SYMBIOSES. Eduquer aux communs, c'est avant tout s'y impliquer. Accepter de partager nos bouts de propriétés, qu'elles soient matérielles ou intellectuelles. Que d'autres s'en emparent et les bonifient. C'est réinvestir l'espace public et politique. Echanger. Faire de la classe, de l'école ou de l'association un espace construit ensemble. Démocratiquement. D'ailleurs, le SYMBIOSES que vous tenez entre les mains est en Creative Commons. Vous êtes libres de le télécharger, de le partager, de le copier, de le modifier. En un mot : il est commun.
Christophe DUBOIS
1. « Main basse sur l'eau », documentaire disponible gratuitement sur www.arte.tv (jusqu'au 13/06/20)
2. « Le modèle écolo repose sur un mythe », interview dans l'Echo, 12 février 2019. http://bit.ly/corentin-desalle
Christophe Dubois
Directeur général
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