Zéro déchet
Le jour d'après, dès aujourd'hui
« La révélation foudroyante des bouleversements que nous subissons est que tout ce qui semblait séparé est relié », nous dit Edgar Morin.1 Santé, économie, éducation, politique, environnement, inégalités... Un fil craque et la toile vacille2. Le philosophe nous enjoint d'éduquer à la complexité et d'accueillir l'incertitude. Plus que jamais, qui sait de quoi demain sera fait ? A quoi ressemblera le jour d'après ?
La crise que nous traversons réveille l'essentiel. La privation nous rappelle nos besoins vitaux : de nature, de relations humaines, d'un foyer, d'un cadre devie sain, de liberté, d'autonomie... Des besoins vitaux dont beaucoup sont privés. Le confinement n'est pas vécu de la même façon que l'on possède ou non un jardin, un travail, un logement, des papiers. La crise se fait révélatrice des inégalités et amplifie la misère. Elle interroge aussi la place et les pratiques du travail. Certes, les élans de solidarité foisonnent, mais n'effacent pas les attitudes d'incivisme, d'intolérance, de repli sur soi. Les relations virtuelles ont pris le pas sur les relations physiques. Y compris sur le plan éducatif.
Faible consolation, dans l'immédiat, l'environnement semble y gagner. On entend les oiseaux chanter dans la cité. Le vélo devient une « vraie » reine des déplacements. La pollution au dioxyde d'azote s'est considérablement réduite dans les grandes villes. Des études en cours rapportent des chutes des émissions de C02 entre -5 et -14%, selon les sources. C'est significatif. Mais nous le payons cher, socialement et économiquement. Et c'est provisoire. Les inquiétudes sont grandes de voir le monde reprendre sa course à l'abîme, comme avant ou pire encore, vers le tout à l'économie et au profit, sans intégrer les grands défis que sont le climat, la biodiversité, la pauvreté, la solidarité entre les nations, la démocratie.
Car si aujourd'hui la santé fait l'objet de mesures politiques fortes et radicales, le climat, lui, peine depuis deux décennies à dépasser le stade de la déclaration d'intention. Il est pourtant un facteur de mortalité déjà supérieur à celui de la Covid3 et le sera davantage encore dans les décennies à venir, d'autant plus si la conduite économique et politique du monde ne change pas très rapidement et très radicalement4.
Au contraire, pour certains gouvernements (et individus), l'épidémie de coronavirus semble le prétexte parfait pour enterrer les efforts écologiques. Nous l'avons constaté en préparant ce dossier sur le zéro déchet, débuté avant le confinement et finalisé début mai : l'hygiénisme ne se soucie guère du poids de nos poubelles. Nous nous sommes nous-mêmes posé la question : le zéro déchet en période de confinement, une lubie superficielle ou un élément dans la construction d'une autre façon de vivre, de produire et consommer ?
Pour un large courant de scientifiques et citoyennes engagées, cette crise apparaît comme une (ultime) opportunité d'engager de profonds changements. Pour accompagner et susciter de tels changements, les professionnel·les et bénévoles de l'éducation et de la culture ont un rôle clé à jouer. Avec un choix : éduquer pour s'adapter à la société telle qu'elle est ou pour développer des capacités de la transformer.
Quelles s(er)ont les attentes de nos élèves et des participantes à nos animations pour se réinscrire dans les apprentissages et dans la vie collective ? Quels ont été leurs vécus pendant le confinement ? Leurs visions de l'avenir ? Bruno Latour propose par exemple de lister les activités dont nous nous sommes senti·es privées par la crise actuelle. Pour chaque activité, aimerions-nous que celle-ci reprenne à l'identique (comme avant), mieux, ou qu'elle ne reprenne pas du tout5 ? Un exercice à proposer aux élèves, et à faire soi-même.
Autre opportunité : l'institution scolaire recommande de sortir hors des murs pour rendre praticable la rentrée scolaire. Le monde de l'Education relative à l'Environnement peut accompagner les enseignantes pour transformer ces sorties en moments d'apprentissage et d'épa nou issement essentiels6.
Nombre de disciplines pourront aider à analyser et comprendre cette crise et à en révéler son caractère systémique et complexe. Sciences, sciences humaines, français, philosophie et citoyenneté, parmi d'autres démarches, viseront à comprendre l'origine de cette pandémie7, faire le tri dans la déferlante d'informations, déconstruire les messages simplistes, débattre des valeurs, se forger une opinion, accepter les incertitudes et... se mettre en mouvement.
Le monde de l'éducation accompagnera la résistance et la créativité de toutes et tous, et des jeunes en particulier, dans leur mouvement vers la justice sociale et environnementale.
Joëlle VAN DEN BERG
1. « Cette crise nous pousse à nous interroger sur notre mode de vie, sur nos vrais besoins masqués dans les aliénations du quotidien », Le Monde, 19/04/2020
2. « Faut-il parler d'effondrement? » sera le thème de notre prochain numéro, en août
3. « Le changement climatique, une menace encore plus importante que le coronavirus », Marius Gilbert, Le Soir, 18/04/2020
4 « L'épreuve politique de la pandémie », Pierre Dardot et Christian Laval, Les invités de Mediapart, 19/03/2020
5. www.bruno-latour.fr/fr/node/851.html
6. Pour s'inspirer : www.tousdehors.be et www.reseau-idee.be
7. « Contre les pandémies, l'écologie », Sonia Shah, Le Monde diplomatique, mars 2020
Joëlle VAN DEN BERG
secrétaire générale du Réseau IDée