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Symbioses - Magazine - Editorial

Magazine Symbioses n°130 : Oser les questions vives

Symbioses - Oser les questions vives

Etes-vous pour ou contre les centrales nucléaires ? Doit-on taxer les voitures les plus polluantes ? Que pensez-vous de la manipulation génétique ? Avons-nous besoin de la 5G ? L’actualité nous bombarde de questions complexes et controversées. Dans son nouveau numéro, le magazine Symbioses explique comment parler à l’école (et ailleurs) de questions écologiques vives. Et pourquoi.

Date de parution : deuxième trimestre 2021 

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Editorial

Oser les questions vives

Question pour un champion

 

Je suis…

Je suis un outil de mobilisation et d’action collective. Je pars des émotions et développe le regard critique. Je dénonce les dominations. Je suis, je suis... ? L’éducation à l’environnement ? Mauvaise réponse. Dernier indice : on a beaucoup parlé de moi durant la pandémie de Covid-19. Je suis ? Le complotisme ! Les théories du complot, malgré les apparences, partagent en effet plus d’un point commun (et heureusement plus encore de différences) avec l’éducation permanente (1). Elles se sont récemment répandues comme un virus. Sur les réseaux sociaux, mais aussi parfois lors de discussions dans les classes, lors d’animations, de formations. C’est qu’il fallait bien expliquer l’inexplicable. Trouver une réponse à des questions complexes, à des questions parfois sans réponse. Trouver des coupables aussi : un gouvernement mondial, Bill Gates, les médias, les firmes pharmaceutiques…

 

Paradoxalement, le complotisme naît de la quête de vérité, du besoin de certitudes. Car l’incertitude est terrifiante.

Comment lutter contre les changements climatiques ? Avons-nous besoin de la 5G ? Comment limiter la propagation du virus ?

Face à ces questions controversées, aux réponses complexes, pas besoin d’être complotiste pour nous enfermer dans nos croyances, pour croire que notre bon sens est la bonne direction. Notre cerveau a besoin de simplicité. Il adore les œillères. Chacun·e y va alors de son avis. « Je ne suis pas médecin, mais je… » (2)

Les positions s’affrontent, se figent. « Nous étouffons parmi des gens qui pensent avoir absolument raison », disait Camus. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux et leurs algorithmes vicieux, nous étouffons aussi de plus en plus parmi des gens qui pensent comme nous, explique le philosophe Etienne Klein (lire son interview p.8).

Hélas, pour répondre à ces questions complexes et à cette épidémie de certitudes, pas de vaccin. Mais quelques gestes barrière, souvent utilisés en éducation – à l’environnement, aux médias, à la culture scientifique ou encore à la philosophie et la citoyenneté.

Des mesures de distanciation intellectuelle à s’appliquer à soi-même, en tant que professionnel·les de l’éducation, mais aussi avec nos publics.

D’abord, chercher la (ou les) vérité(s) tout en osant le doute (3). Attention, pas ce doute qui nous fait tomber dans le relativisme ou ignorer les savoirs scientifiques. Les sciences (dures et humaines) n’expliquent pas tout, mais elles ne sont pas qu’une question d’opinions, de choix entre différentes théories. Elles produisent de la connaissance, à partager.

Selon une récente étude du Centre d’Action Laïque, plus de 60% des enseignant·es estimeraient que de plus en plus d’élèves rejettent certains sujets éthiques, vérités scientifiques et historiques, lorsqu’elles entrent en confrontation avec leurs croyances ou leurs préjugés. Donc douter de ce qu’on nous dit, certes, mais plus encore de ce que nous pensons. Nous méfier de nos croyances et de nos biais cognitifs.

Aborder en classe ou en animation une question qui fait débat peut devenir une aventure longue et collective. Après le doute, il faudra donc aussi de la confiance, en soi et en l’autre. Pour oser s’exprimer, écouter, accepter d’autres points de vue, interroger nos valeurs, faire des choix, s’engager. Sortir de sa bulle.

Les initiatives éducatives relayées dans ce numéro de SYMBIOSES en témoignent : se poser ensemble des questions vives (écologiques ou autres) permet également de comprendre l’interaction entre les enjeux et celles et ceux qui les défendent, d’interroger les notions de responsabilité et de justice. Là commencent l’écocitoyenneté et la démocratie : « Est démocratique, une société qui se reconnaît divisée, c’est-à-dire traversée par des contradictions d’intérêt et qui se fixe comme modalité d’associer à parts égales chaque citoyen dans l’expression de ces contradictions, l’analyse de ces contradictions et la mise en délibération de ces contradictions, en vue d’arriver à un arbitrage », disait Ricoeur (4).

Quitte à appeler les philosophes à la rescousse, citons enfin Kant : « On mesure l'intelligence d'un individu à la quantité d'incertitudes qu'il est capable de supporter. » Puissiez-vous en supporter beaucoup. Et vous sentir rassuré·e : pas besoin d’être un·e champion·ne pour vous lancer dans les questions vives. 

 


Christophe DUBOIS, Directeur du Réseau IDée


 

Références:

(1) Guillaume Lohest a analysé les points communs et différences entre complotisme et éducation permanente dans la revue Contrastes de nov.-déc. 2020, téléchargeable sur www.equipespopulaires.be/revue

(2) Titre d’un récent ouvrage d’Etienne Klein (lire son interview p.8).

(3) Voir l’excellent documentaire « La fabrique de l’ignorance », qui explique « comment, des ravages du tabac au déni du changement climatique, en passant par les néonicotinoïdes, on instrumentalise la science pour démentir... la science ». Visible sur www.arte.tv jusqu’au 22/06/21

(4) L'idéologie et l'utopie, Ed. du Seuil, 1997 

 

Christophe Dubois

Directeur général 

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