Mobilité - (ap)prendre d’autres habitudes
La décrue
À l’heure d’écrire ces lignes, c’est la décrue. Rues déchiquetées, maisons déchirées, vies noyées. La Belgique est inondée. Nos voisins allemands et hollandais aussi. Le métro chinois de Zhengzhou est également sous eau, 380.000 personnes sont évacuées.
Alors que les habitant·es pellettent, pompent et pleurent, les expert·es pointent : la bétonisation, l’aménagement du territoire, l’appauvrissement des sols, le changement climatique... Ce dernier provoque des pluies de plus en plus intenses et fréquentes, que ne peuvent absorber des sols artificialisés. Du déjà entendu. Le premier rapport du GIEC l’annonçait déjà en 1990 : « L’effet de serre accentuera les deux extrêmes du cycle hydrologique, c’est-à-dire qu’il y aura plus d’épisodes de pluies extrêmement abondantes et plus de sécheresses prononcées. » De fait. Fin juin, de l’autre côté de l’Atlantique, Vancouver cuisait sous les records de chaleur. 49,5 °C, du jamais vu. Chez nous, l’an dernier – année la plus chaude jamais enregistrée – les canicules du mois d’août ont provoqué plus de 1.400 décès, passés (presque) inaperçus, à l’ombre de la pandémie. Du jamais vu. Un an auparavant, on mesurait 39,7°C à Uccle. Du jamais vu. Mais comment s’adapter à ce que l’on n’a jamais vu ?
Aujourd’hui, c’est la décrue. Et je décrois. Du verbe décroire. J’arrête de croire que nous pourrons continuer à vivre comme avant. Les changements climatiques sont déjà là et s’accentuent. Ici comme ailleurs. En réaction aux inondations, François Gemenne, chercheur en géopolitique de l’environnement, utilise une métaphore automobile : « On est dans un schéma de pensée où on se dit qu’on va pouvoir éviter la sortie de route. En réalité, la sortie de route a eu lieu dans les années 1950. Aujourd’hui l’enjeu, c’est de limiter le nombre de tonneaux : deux ou ou trois tonneaux, plutôt que dix ou douze, et ça change tout. » (1)
C’est la décrue, et je décrois. Du verbe décroître. Prenons le secteur des transports. A lui seul, il émet près d’un quart de nos émissions de gaz à effet de serre, une augmentation de 23% depuis 1990. C’est le pire secteur en la matière. Si on veut limiter le réchauffement à 1,5 degré, la destination est connue : il faudra diminuer de 55% nos émissions d’ici 2030. Pour la mobilité, cela voudrait dire, à la grosse louche (2), diviser par deux le nombre de kilomètres parcourus en voiture individuelle par an (3), mais également diviser par deux le nombre de véhicules en circulation et la consommation moyenne des véhicules thermiques (pour atteindre 3,3 l / 100 km).
La route est encore longue. On espérait qu’avec le confinement et l’obligation du télétravail, les habitudes de mobilité allaient changer. Certes, les Belges envisagent de continuer à moins se déplacer après la crise. Mais ça ne suffit pas si, ce qui reste, nous le parcourons toujours en voiture.
Comment se préparer aux catastrophes à venir et les limiter au maximum ? On a beaucoup parlé de législation (4) et d’infrastructures. Beaucoup moins d’éducation. Si il faut reconstruire les fondations de tant de routes et de maisons, il faut aussi déconstruire nos fondations culturelles. Démonter ces croyances qui ont érigé le béton en maître de la nature, la grosse cylindrée en symbole de réussite et de liberté, et l’accélération de nos vies comme modèle de développement économique. Voilà un chantier éducatif aussi urgent que nécessaire.
« L'avenir se prépare dans les écoles d’agriculture et dans la formation de nos urbanistes », pour apprendre à prendre soin du sol et de la végétation, à repenser l’aménagement de nos bassins versants, martelait un agriculteur au lendemain des inondations (5). Il faudra également, dans toutes les écoles et toutes les maisons, apprendre à prendre d’autres chemins. Ralentir, pour limiter le nombre de tonneaux. Accepter humblement l’incertitude et le risque, premiers pas vers la résilience. Expérimenter la solidarité, comme en ces lendemains de catastrophes. Tester d’autres façons de se déplacer (comme ce numéro de SYMBIOSES vous y invite), d’habiter, de se nourrir, de produire. Observer la nature, s’en inspirer, la respecter. Y puiser plaisir et énergie. Alors seulement, peutêtre, viendra la décrue.
Christophe DUBOIS, Directeur du Réseau IDée
(1) Interrogé par Brut le 16/07/21, www.brut.media
(2) B&L évolution, 2019 : https://colibris.link/mobilite2030
(3) Y compris pour aller voir nos ami·es, pour nos loisirs ou nos achats, ce qui devrait représenter 70% de nos déplacements en 2030, selon le Bureau fédéral du Plan.
(4) Le 17 juin, le tribunal de première instance de Bruxelles a condamné collectivement les autorités belges pour leur politique climatique négligente.
(5) Lire sa carte blanche, publiée dans La Libre du 16/07/21 : https://colibris.link/lalibre-inondation
Christophe Dubois
Directeur général
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