Insectes et autres petites bêtes : changer notre regard
Le temps d’une pause
Si on faisait une pause ? Pas de celles qui nous font recharger nos batteries. Non, une pause dans les normes environnementales qui permettent de restaurer et protéger la nature. Voilà la déclaration d’Alexander De Croo, en mai dernier (1) – au lendemain de la Journée internationale de la biodiversité – suivant en cela le souhait de nombreux industriels européens. L’argument du Premier ministre : on en demande déjà beaucoup aux entreprises et à la population pour diminuer les émissions de CO2, c’est la priorité, « ne surchargeons pas la barque avec des choses qui n’ont rien à voir avec le réchauffement climatique » (sic). A courir deux lièvres à la fois, on n’en attrape aucun. Rechargeons d’abord les batteries des voitures électriques.
Et si on faisait une pause ? Contemplative cette fois. Se coucher au milieu d’un champ. Fermer les yeux. Sentir le vent, la chaleur du soleil sur son visage. Tendre l’oreille et écouter le silence. Quelques rares oiseaux chantent au loin. Rêver.
Puis ouvrir les yeux. Les animaux ont disparu, ou presque. Les oiseaux, mais aussi les petites bêtes dont ils se nourrissent…
En trente ans, les populations d’insectes ont diminué de 70 à 80 % dans nos paysages agro-industriels. Nos printemps sont de plus en plus silencieux, du nom de ce livre de Rachel Carson – Printemps Silencieux – qui contribua à l’émergence des mouvements écologistes, à une prise de conscience de la dangerosité des insecticides et à l’interdiction partielle du DDT.
Soixante ans après sa parution, où en est-on ? En agriculture intensive, d’autres pesticides ont pris la relève. Les néonicotinoïdes tuent encore et toujours les insectes par millions et menacent notre santé. A la pollution agrochimique se sont ajoutés la perte d’habitats naturels, l’arrivée d’espèces invasives (les frelons et coccinelles asiatiques qui concurrencent nos espèces locales, par exemple) et… le dérèglement climatique.
Car, évidemment, dérèglement climatique et chute de la biodiversité sont intrinsèquement liés et se renforcent mutuellement (2). Ces deux crises puisent leurs racines dans les activités humaines, dans nos modes de production et de consommation.
Dans les deux crises, des humains et des non-humains font partie des victimes.
Dans les deux crises, les solutions devront s’appuyer sur la nature, ses forces et ses limites. Même si dans le système productiviste l'ingénierie se substitue au fonctionnement naturel, on ne pourra pas remplacer l'ensemble des abeilles domestiques par des drones pour polliniser nos champs.
Enfin, dans les deux crises, les nécessaires mesures politiques, juridiques et techniques doivent s’appuyer sur un profond changement culturel, un intense travail éducatif. Les professionnel·les de l’éducation qui témoignent dans ce dossier de SYMBIOSES consacré aux insectes et autres petites bêtes (3) l’ont bien compris. Ils et elles éveillent petits et grands aux merveilles de ce monde méconnu, piquent leur curiosité, chassent leurs peurs et métamorphosent notre rapport au vivant.
En parlant de pause, vous vous en êtes peut-être aperçu·e, il aura fallu attendre plus que d’accoutumée pour recevoir ce nouveau numéro. Le temps pour la rédaction de prendre le pouls des lecteurs et lectrices et de repenser le projet rédactionnel, papier et numérique. La mue est annoncée pour le printemps prochain.
Christophe DUBOIS, Directeur du Réseau IDée
Références:
(1) Finalement, début juillet, au niveau européen, un projet de loi visant à imposer aux États des objectifs contraignants de restauration de la nature a passé l’étape du Parlement européen.
(2) Les végétaux aident notamment à stocker du carbone. Et ils dépendent en partie des animaux : pollinisation, dissémination des graines, cycle de la matière…
(3) Dans ce numéro nous traiterons des insectes et des araignées, essentiellement.
Christophe Dubois
Directeur général
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