TIC : nouvelle ErE ?
Environnements numériques : vers une nouvelle ErE
Du courriel aux pétitions en ligne, de Google à Facebook, du GSM aux tablettes de type iPad. En deux décennies, les outils numériques sont devenus usuels, incontournables dans nos vies quotidiennes, relationnelles, professionnelles, militantes. Elles ont bouleversé notre rapport au temps et à l’espace, mais aussi nos façons d’apprendre et d’agir. Une profonde mutation, qui s’est imposée au monde aussi massivement que l’imprimerie.
Aujourd’hui, la souris a mangé le livre. Avec la récente apparition des imprimantes 3D, on n’imprime d’ailleurs plus de livres, mais des objets. Les technologies de l’information et de la communication (TIC) seraient même au cœur d’une troisième révolution industrielle, annonce l’économiste Jeremy Rifkin1, qui y voit même une réponse à la crise énergétique.
Souvent technophobes, les professionnels de l’ErE ?
Bien entendu, ce changement ne se fait pas sans crainte ni incompréhension. En la matière, les éducateurs à l’environnement ne sont sans doute pas les moins frileux. Il faut dire qu’ils ont un disque dur débordant de bonnes raisons : alors qu’ils travaillent l’ancrage au territoire, ici et maintenant, les TIC, elles, ne cessent de rétrécir le temps et l’espace. Alors qu’ils chérissent le naturel, le numérique est le royaume de l’artificiel. Alors que l’ErE met l’homme au centre, les logiciels sont déclarés coupables de déshumaniser nos relations (on chatte avec des inconnus mais on n’ose pas rencontrer le voisin de palier). Quand on en appelle à plus de sobriété, les PC, tablettes et autres smartphones sont le symbole de l’accélération de nos vies et de notre boulimie consumériste, coupables de l’épuisement de certains minerais, de guerres, de pollutions (déchets mais aussi ondes électromagnétiques) (voir truc pratique p.9). Sans parler du côté « Big Brother », inégalitaire, chaotique, etc.
Les éléments à charge sont donc nombreux. Mais telles les deux faces d’une même pièce, les défauts et dérives des outils numériques n’ont d’égal que leurs potentialités éducatives et citoyennes. Ce nouveau dossier de SYMBIOSES a d’ailleurs plutôt choisi d’instruire à décharge. « Pouvons-nous ignorer la société internaute si nous cherchons à découvrir et à saisir notre environnement dans sa globalité ? », interrogeaient déjà les éco-pédagogues Christine Partoune et Michel Ericx, dans un précédent SYMBIOSES consacré à internet, il y a 16 ans2 ! Précurseurs. Nous les avons réinterrogés aujourd’hui (en pp. 6 et 13). Et avons exploré les initiatives positives au croisement de l’ErE et des TIC, lesquelles ont fortement évolué avec l’avènement du web collaboratif 2.0 (et bientôt 3.0) et des outils numériques mobiles (smartphones et tablettes).
Un dossier à décharge
Que nous racontent-elles, ces initiatives éducatives ? Que les outils numériques ne sont intrinsèquement ni bons ni mauvais. Tout dépend de celui qui les porte et de l’usage qu’il en fait. Ils peuvent par exemple démocratiser l’expression publique en donnant la voix aux sans-voix (p.10). Ils facilitent la collaboration à distance et la co-production (p.14). On peut les utiliser pour revitaliser l’espace politique, la démocratie participative et le débat citoyen (p.17), ou encore pour changer nos modes de consommation (p.15). Grâce à l’hypertextualité, ils permettent par ailleurs de passer d’une pensée linéaire à une pensée systémique (pp. 12 et 13). Enfin, des logiciels de « réalité augmentée » et de contribution collaborative amènent à revisiter son environnement, mais aussi son rôle de participant ou d’animateur (p.16).
C’est sans doute là le plus fondamental : plus que tout autre outil, les TIC changent le rapport à l’apprentissage et au savoir, donc nos pratiques pédagogiques. L’information est désormais diffusée partout, pour tous, par tous. Reste à la transformer en savoirs utiles. Si le « maître » tend à disparaître, l’accompagnateur reste plus que jamais nécessaire. Pour aider à chercher le sens plutôt que le bruit (« infobésité »), la qualité plutôt que la quantité. Pour passer de la consommation à la production, d’un usage individuel à une pratique collective. Pour veiller à ce que ErE et TIC soient accessibles, éthiques, libératrices et non aliénantes (cf. « ErE et TIC : ErE éthique ? », p.6). Ces technologies pouvant être utilisées pour le meilleur comme pour le pire, l'accompagnement de leur développement relève d'un projet politique qui interroge notre rapport au monde et dont nous devons nous saisir. Les TIC font déjà parties de notre environnement. Qu’on le veuille ou non.
Christophe DUBOIS
1. Président de la Foundation on Economic Trends et auteur du livre « La troisième révolution industrielle »
2. SYMBIOSES n°33, «Internet», décembre 1996
Christophe Dubois
Directeur général
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