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Symbioses - Magazine - Editorial

Magazine Symbioses n°98 : Creusons le sol

Symbioses - Creusons le sol

Le sol… Celui qu’on foule, qu’on retourne, qu’on travaille. Pour se nourrir, pour fabriquer, pour bâtir. Celui qu’on observe pour y lire l’histoire, pour y découvrir ce qui grouille, ce qui pousse, ce qui vit. Celui, aussi, qu’on malmène, épuise, dégrade… Ce dossier de Symbioses creuse le sol et ses enjeux multiples, pour y découvrir ses richesses enfouies. Avec des articles de réflexion, des reportages sur des projets d'écoles, citoyens, associatifs, des adresses utiles et outils pédagogiques.

Date de parution : deuxième trimestre 2013

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Editorial

Creusons le sol

Devinette...


Quel est le point commun entre votre GSM, un antibiotique1, une patate, une éolienne, votre bague de fiançailles et le dernier film de Matt Damon sur le gaz de schiste ? En trois lettres… Le sol. Il est dans (presque) tout. « Il suffit de prendre une poignée de terre pour tenir dans le creux de sa main l’ensemble, ou peu s’en faut, des éléments chimiques stables non gazeux de la classification de Mendeleïev, dont environ 60 métaux différents, certains en quantité infinitésimale bien sûr », résume Philippe Bihouix2.


Le sol, omniprésent, est pourtant méconnu. En réalisant ce dossier de SYMBIOSES, nous avons pu le constater : les éducateurs qui creusent la question sont un peu des explorateurs en voyage au centre de la terre. L’aventure est palpitante, mais peu sont prêts à la tenter. Pourquoi ? Ce qui se passe sous nos pieds est par définition peu visible, caché, donc pour beaucoup mystérieux, inconnu. Pour se lancer dans ce voyage en toute sécurité, il faudrait - nous dit-on - un bon bagage scientifique. Et puis le sol, on le foule mais ça ne passionne pas les foules. Parfois même, ça dégoûte… La terre, c’est « sale ». « Elle est couverte de toutes sortes de déjections et, pire, c’est là que se décomposent nos morts. Qui met encore régulièrement les mains dans la terre ? Pas la population urbaine, majoritaire depuis peu dans le monde, et de moins en moins les exploitants agricoles, qui labourent leurs hectares subsidiés du haut de leurs tracteurs climatisés. Notre culture a fait de nous des êtres sensitivement hors-sol », écrit Emmanuel Godinot, ouvrier agricole3.


Pourtant, y a-t-il plus tangible que ce sur quoi reposent nos pieds? Au-delà de l’éveil scientifique, de la découverte d’un écosystème et de notre histoire géologique et paysagère, les sols sont un riche terreau d’apprentissages pour aborder notre société, son passé et son devenir. Aujourd’hui, d’où viennent les ressources terrestres nécessaires à notre consommation quotidienne ? Poser cette question, c’est se pencher sur les conflits et spéculations autour des matières premières (pétrole, céréales, or, diamant, coltan…), l’accaparement des terres, la privatisation des ressources, leur épuisement…


Prenons par exemple ce dernier thème, l’épuisement des ressources et la fin pas si lointaine d’une série de métaux. Philippe Bihouix en parle très bien dans un article interpellant sur les limites du recyclage et de l’économie circulaire2 : « Mesurées en années de production ou de consommation actuelle, les réserves varient de quelques décennies (antimoine, zinc, étain…) à quelques siècles (vanadium, cobalt, platine…), la grande majorité se situant entre 30 et 60 ans (nickel, cuivre, plomb…) ». En l’espace d’une génération, nous devrions extraire de la croûte terrestre une quantité plus grande de métaux que pendant toute l’histoire de l’humanité. Au cours des 20 dernières années, nous avons plus que doublé la production des grands métaux industriels (alu¬minium, cuivre, nickel, zinc…). Pire encore pour les « petits » métaux (indium, lithium, cobalt…) dont sont friandes les nouvelles technologies.


Pour aller chercher ces minerais, de moins en moins concentrés et enfoncés toujours plus profondément, il faut de plus en plus d’énergie. Et inversement, la production d’énergie, moins accessible ou plus « technologique » (notamment les énergies renouvelables), requiert de plus en plus de métaux. Le pic de pétrole serait vraisemblablement accompagné ou suivi d’un pic de… tout.


Mais alors comment préserver les générations futures d’une trop grande pénurie de matières premières ? Réorienter complètement notre modèle économique et augmenter la durée de vie des produits serait déjà un bon début : des produits plus simples, plus réparables ou recyclables. N’utilisant qu’avec parcimonie les ressources les plus rares et irremplaçables (cuivre, nickel…). Sur cela, les législateurs et les industriels ont davantage de poids que les simples citoyens. Encore qu’il s’agisse aussi d’une révolution culturelle : préférer les objets éprouvés plutôt que nouveaux, abandonner la course à l’accumulation et au jetable, valoriser les métiers manuels de « réparateurs » en tous genres, ou soi-même devenir cordonnier-sociologue, enseignant-mécanicien… Le chemin est (très) long, mais pour paraphraser un célèbre moine bouddhiste : « L'or de la transition est dans le sol de notre esprit, mais si nous ne creusons pas, il reste caché ».


Christophe DUBOIS



1. 70 % des antibiotiques présents sur le marché sont issus de bactéries du sol
2. « Les limites de l’économie circulaire : la question des métaux » sur www.institutmomentum.org
3. dans Kairos n°6 « Alerte paysanne », février/mars 2013, www.kairospresse.be

 

Christophe Dubois

Directeur général 

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