Mobilité
Un peu de vacance(s)
« Vitesse, plus rapide que la lumière, je suis Flash McQueen ». Ce sont les premières paroles de Cars, un dessin animé où les voitures sont des héroïnes aux sourires ravageurs. Dans les cours de maternelle, Flash est une idole qui s’imprime sur les cartables, les t-shirts et dans les têtes…
Flash, en fait, c’est un peu nous. Non seulement il a des comportements humains, mais sa vie est une course. Comme celle de plus en plus d’entre nous. Pléthore d’études soulignent ce phénomène, dont une enquête de la Ligue des familles montrant que « gérer le temps » représente un réel problème pour près d’un parent sur deux1. Déjeuner en 4 e vitesse, conduire les enfants à l’école, puis se rendre au boulot. Sauter dans le train du retour. Râler parce que le chantier du RER - qui a déjà au moins 13 ans de retard annoncé - ralentit le train. La garderie va fermer. Sauter dans l’auto pour aller les conduire au sport. Rentrer faire le repas, vite. Les devoirs. Puis planifier les vacances… Que nous soyons parents ou pas, nos journées ne sont pas rythmées de la même manière, mais nous sommes nombreux à avoir le sentiment de courir après le temps2.
Mais pourquoi courir ? « Le temps c’est de l’argent ». Il faut donc en gagner. Ça vient d’où cette idée ? Encore d’une voiture, notamment. Ford, Henri de son prénom. Il mit au point un modèle d'organisation scientifique du travail qui donna naissance à une théorie (le fordisme, début du XXème siècle), à l’origine de la production et de la consommation de masse (dont on connait aujourd’hui l’impact sur l’environnement). Le travailleur, dont on chronomètre les mouvements, est sans cesse appelé à être plus productif. Un autre constructeur de voitures, Toyota, 50 ans plus tard, reprit le modèle pour y ajouter notamment la flexibilité et la production « juste à temps » (zéro stock). Autant dire que ces deux modèles ont fait beaucoup d’émules. Sans parler du « mal du siècle »3 : le burn-out.
On court donc tout le temps et de plus en plus : au travail, à la maison, dans nos déplacements. L’accélération de ces derniers étant censée permettre de gagner du temps pour les deux autres4. Le problème, c’est que l’on bouge aussi de plus en plus. C’est devenu un enjeu environnemental (étalement du territoire, épuisement des ressources, augmentation des émissions de CO 2…) mais aussi social de premier plan. Pour ne pas être déclassé, l’homme doit maîtriser les distances-temps. Plus encore, certains estiment même qu’ « une idéologie mobilitaire se construit peu à peu, dictature du temps plein et utile. Aujourd’hui, celle-ci domine tous les secteurs de la vie sociale. La mobilité est devenue synonyme de liberté et de réussite sociale, l’ “activation” le maître-mot des politiques publiques. Toute immo-
bilité est désormais suspecte, qu’elle soit physique, professionnelle ou sociale »5.
Face à ces enjeux, où pouvons-nous agir, en tant qu’individu, en tant qu’éducateur ?
D’une part, pour donner à tous le nécessaire droit à la mobilité, il s’agit non seulement d’améliorer les moyens de transport et de faciliter l'accessibilité aux lieux de notre quotidien par des aménagements urbains ou techniques. C’est le rôle des pouvoirs publics. Mais aussi - et c’est là où l’éducateur a toute sa place - d’apprendre la mobilité dans toute sa complexité, ses enjeux, ses codes et les modèles culturels qui la sous-tendent6. C’est l’objet du dossier thématique de ce SYMBIOSES. Il part à la rencontre d’enseignants, citoyens, associations qui tentent de repenser leur mobilité dans leurs déplacements quotidiens.
D’autre part, cela peut sembler contradictoire, il s’agit aussi de faire dérailler cette dictature de la mobilité. Donner les outils qui permettront de la déconstruire. Gagner le droit à la lenteur, à l’immobilisme et à la contemplation. C’est une lutte pour la maîtrise de nos vies (comme contre toute dictature). Pour un peu de vacance.
Christophe DUBOIS
1. Pour les principaux résultats, voir Le Ligueur, 2 février 2011. La Ligue des familles y a également consacré
son université d’automne 2010, dont les actes sont disponibles sur www.citoyenparent.be > analyses et études
2. « Peut-on ralentir le temps ? », mensuel Sciences Humaines n°239, juillet 2012
3. « Global burn-out », Pascal Chabot, PUF, 2013.
4. « Le temps et les transports de voyageurs », Yves Crozet, Université de Lyon, 2005. Téléchargeable.
5. Inter-Environnement Wallonie, « Quelles alternatives à la voiture individuelle ». Téléchargeable.
6. « La mobilité comme capital », Sylvain Allemand, mensuel Sciences humaines n°145, janvier 2004
Christophe Dubois
Directeur général
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