Danse avec la nature
Danse avec la nature
1er trimestre 2021, propos recueillis par Christophe Dubois
Un article du magazine Symbioses n°129 : L'environnement (se met) en scène
Chercheuse au CNRS, Joanne Clavel étudie les liens entre danse, écologie et transmission. Elle envoie valser la séparation entre la nature et la culture, miroir de celle entre le corps et l’esprit. Interview.
Vous avez mené plusieurs ateliers scolaires de danse basée sur l’observation d’animaux. Pouvez-vous nous expliquer ?
Avec le collectif Natural Movement, nous proposions des ateliers aux enfants, soit dans la cour de l’école ou dans un parc proche, soit au sein de la ménagerie du Jardin des Plantes, à Paris, qui dépend du Muséum national d’Histoire naturelle. C’était une expérience divisée en trois temps. Le premier temps, on s’échauffe corporellement en portant l’attention à son propre corps, puis on observe finement les animaux, durant 15 minutes. Ensuite, chacun·e essaie d’imiter certains mouvements et comportements des animaux. On tente, avec son corps, de retrouver le geste, de faire apparaître des variations de rapidité, d’amplitude. Enfin, place à l’imagination : les enfants interprètent à leur manière ces mouvements pour en faire une chorégraphie en fin d’atelier. Au-delà du travail sur ses propres compétences motrices, il y a vraiment un enjeu de rencontre et d’attention à l’autre animal, de modifier la visite au zoo qui prend l’animal comme un objet à consommer, ou de découvrir les petites bêtes qui vivent aussi dans la cour d’école.
Sans aucune consigne de type « fixe ton regard, soutiens les abdominaux, lève la jambe de telle manière », l’enfant parvient à reproduire l’équilibre sur une patte de la grue ou du flamand. Il trouve le geste juste : les différents types de marche du canard, du moineau ou du pigeon, les différentes façons de s’alimenter et d’utiliser son cou. Une transmission s’opère de geste à geste, de corps à corps, par-delà le langage.
Cette question de la transmission est au cœur de vos recherches...
Un geste ne se transmet pas uniquement par l’observation et la simulation mais aussi par les expériences, par l’imaginaire, par les émotions, par le sensible de cette relation. La danse va travailler le sensible par le kinesthésique, par l’équilibre, par la dimension haptique (la vibration sonore et tactile), la dimension phorique (comment on est soutenu par les éléments et par les autres). Et le milieu naturel est un des milieux les plus riches en termes de perceptions et d’expériences sensibles. Or, ces sensations et ces émotions sont au fondement des valeurs qui nous poussent à agir. Expérimenter par le corps a donc aussi un impact sur nos actes, nos valeurs, nos pensées. Utiliser la danse reconfigure ainsi notre implication dans le monde et la place de nos gestes. Une dimension centrale de l’écologie est de désapprendre nos gestes mortifères envers la nature.
Quels types de savoirs sont véhiculés par de tels projets éducatifs ?
Dans ce processus artistique et pédagogique, différents savoirs vont se mettre en branle, dont certains dépassent les savoir-faire du danseur. J’insiste sur le savoir-sentir, qui est le fait d’être à l’écoute de son environnement, de la nature et de son propre corps. La première étape, c’est de prendre conscience que notre corps est vivant et qu’il est aussi un milieu pour d’autres vivants, se sentir « organisme-milieu ». Et qu’autour de nous, il y a d’autres organismes qui peuplent nos milieux de vie. Cela change notre rapport au monde et à l’altérité. Je vois du chorégraphique dans les mouvements des animaux, dans le balancement des arbres, le son des feuilles balayées par le vent.
Par ailleurs, avec la danse, on travaille aussi les savoir-être. La danse est un aller-retour de l’individuel au collectif. Devenir un corps collectif et faire circuler l’énergie est un des enjeux majeurs des groupes de danse, mais aussi de l’écologie.
D’autres savoirs, de type scientifiques, peuvent-ils aussi enrichir cette expérience artistique ?
Complètement. Par exemple, j’ai suivi quatre chorégraphes dans une école de danse qui voulaient faire leur spectacle de fin d’année sur l’écologie. Chacune des professeures a demandé aux jeunes élèves de s’emparer elles-mêmes de la question écologique pour concevoir le spectacle. Chaque étudiante a donc mené sa propre enquête sur les changements climatiques, la chute de la biodiversité, la transition agro-écologique, et ses propres modes de vie. Pour partir du réel, du quotidien. Les savoirs scientifiques sur l’état de la nature ont ainsi nourri le travail gestuel et chorégraphique. Ensuite, comment présenter ce sujet avec nos corps ? Se poser des questions écologiques au cours de danse a permis de relier l’apprentissage des gestes - dansés et écologiques - avec la capacité d’avoir une pensée et un discours sur ces enjeux.
En savoir plus: voir www.natural-movement.fr et lire “Arts et Education relative à l’Environnement”, Éducation relative à l’environnement : Regards, Recherches, Réflexions. Volume 14, numéro 1, 2017.
Photo : ©natural movement