En quête de racines et de pépites
En quête de racines et de pépites
1er trimestre 2021, par Sophie Lebrun
Un article du magazine Symbioses n°129 : L'environnement (se met) en scène
L’opération Art à l’école crée la rencontre entre un·e artiste et une classe au fil d’une année. Reportage à Bray.
Le son d’un bol tibétain s’élève dans la classe de 2e primaire de l’école communale de Bray Cité, près de Binche. « Je vous invite à fermer les yeux. Comment vous sentez-vous ? »
En ce matin de janvier, la « météo intérieure » des élèves s’avère intimement liée à la météo extérieure : « J’ai froid », « je suis impatiente de jouer dehors », « je suis joyeuse à cause de la neige »... Florence Klein acquiesce : la neige qui tombe à gros flocons, « c’est le grand événement d’aujourd’hui. On ira l’observer tout à l’heure. » L’autre événement qui réjouit les enfants, c’est la présence de cette auteure de théâtre (1) durant toute la journée. On perçoit, entre eux, des liens complices : c’est leur troisième atelier Art à l’école (lire ici). « Ce projet, c’est une bulle d’oxygène » glisse leur institutrice, Julie Delescolle.
Des racines et des ciels
Au programme ce jeudi : carnet d’atelier, broderie sur papier, observation du ciel, recherche d’un arbre « qui me fait penser à ma famille », jeu « le prénom de ma grand-mère », arbre généalogique… « Le programme va sans doute bouger, nous a prévenue Florence Klein, en fonction de ce qui se passe “en vrai” avec les enfants et de mon ressenti. » Pour l’heure, après avoir distribué à chacun·e un carnet, elle dévoile le sien, intitulé « Odessa, notre odyssée ». « J’y écris mon prochain spectacle », et cela passe parfois par le dessin ou la broderie, explique-t-elle aux enfants. « Vous aussi, vous êtes des écrivains : vous inventez des histoires. Dans votre carnet, vous pouvez écrire ou dessiner ce que vous voulez, quand vous en avez envie, et on ne le regardera pas si vous ne le souhaitez pas », précise l’artiste, en invitant chacun·e à l’inaugurer comme bon lui semble. Plusieurs enfants décorent la couverture, quelques-un·es y consignent un événement personnel - joyeux ou traumatisant -, d’autres puisent leur inspiration dans des livres dédiés au ciel et aux arbres. Une élève brode son prénom. « Florence laisse faire, laisse explorer, observe Mme Julie. Moi, j’ai plus l’habitude de donner des consignes. »
Quand l’artiste propose aux enfants de réaliser un arbre généalogique, elle prend soin, d’abord, d’ouvrir le champ créatif : « Des artistes ont travaillé sur ce thème. Regardez, celui-ci n’a mis que des images : des silhouettes découpées. Celui-là s’est surtout intéressé aux racines. » Les enfants sont invités, à leur tour, à « explorer » : intégrer ou non l’élément végétal, agencer librement les prénoms... Créer « un arbre du ressenti ».
« On se laisse porter par le projet, indique l’institutrice. Quand j’ai expliqué qu’une auteure de théâtre venait en classe, les enfants ont pensé : on va aller au théâtre ou jouer une pièce. Et là, on découvre tout un univers, une démarche artistique, une ouverture d’esprit. En atelier, les enfants se sentent hors du cadre scolaire, et s’expriment davantage, surtout les enfants en difficulté scolaire » ajoute Julie Delescolle. « C’est l’idée de l’opération Art à l’école : mettre les enfants en contact avec la démarche singulière d’un·e artiste, pour les aider à rechercher - et exprimer - leur propre singularité, leur créativité, leurs pépites », acquiesce Florence Klein.
De son côté, elle souligne l’inventivité de l'enseignante et sa faculté d’« embrayer, prolonger les activités. Par exemple, j’ai amené le thème des grands-mères, et elle a proposé aux enfants de présenter leurs propres grands-mères aux autres. »
Permaculture humaine
Le ciel, les arbres, les grands-mères : ces figures qui reviennent d’atelier en atelier à Bray sont autant d’éléments du futur spectacle de Florence Klein. Il y sera question de « transmission - de traumatismes liés à la guerre notamment - et de nos pouvoirs de régénération ». Le regard des enfants nourrit celui de la dramaturge. « Mes spectacles sont des co-constructions : l’écriture comprend toujours une étape de rencontre en ateliers, pour que mon propos s’alimente de multiples points de vue, soit relié au vivant. » Il le sera d’autant plus, cette fois, qu’elle va aussi mener des ateliers dans une maison de quartier et une maison de repos (2). Au fond, l’attention qu’elle porte à ces questions de diversité, de lien intergénérationnel et de régénération traduisent son intérêt pour la permaculture, « notamment la permaculture humaine ».
Florence Klein en est convaincue : pour prendre soin du vivant, il faut développer sa sensibilité, et d’abord prendre conscience de son corps. Dans le jardin de l’école, en contact avec la terre, le ciel et la neige, elle propose aux élèves de se prêter à quelques jeux et exercices. Ancrage du corps, mouvement, écoute et dialogue : « c’est la base du théâtre ».
En fin de journée, l’artiste et l’institutrice invitent les enfants à se poser, à écouter leur respiration, partager leurs impressions. Dehors, la neige a fondu, mais le souvenir de cette journée n’est pas près de disparaître.
(1) Elle est notamment l’auteure des spectacles jeune public Je suis une danseuse étoile et L’étrange intérieur - www.infusions.be
(2) Grâce à une aide soutenant la mise en place de résidences d’artistes dans le cadre d’Un futur pour la culture.
Photo : Sophie Lebrun