Aller au contenu principal

Article Symbioses

Cyril Dion : « Nous devons repenser notre présence au monde »

Cyril Dion : « Nous devons repenser notre présence au monde »

Cyril Dion : « Nous devons repenser notre présence au monde »

Décembre 2022, propos recueillis par Sophie Lebrun 
Un article du magazine Symbioses 133: Biodiversité, tous reliés


Rencontre avec le réalisateur et militant écologiste français, à propos de son film Animal.

 


Le documentaire Animal (1) de Cyril Dion explore la perte massive de biodiversité et, surtout, questionne notre rapport au vivant, nos relations avec les autres espèces. Cela, à travers le regard de deux ados, Bella et Vipulan, au fil de leurs rencontres avec des scientifiques, des activistes, et des acteurs et actrices de terrain, aux quatre coins du monde. Interview (2).

Quel message espérez-vous que le public retienne du film Animal ?

Nous sommes des vivants parmi les vivants. Si on veut transformer la société, construire un monde vivable, on a besoin de repenser notre présence au monde. Arrêter de croire que la croissance économique, c’est la priorité. La priorité, c’est de défendre la vie, et cela suppose d’accepter qu’on fait partie des écosystèmes. S’ils meurent, on va mourir avec eux.

Le titre « Animal » est polysémique. Le film interroge notre relation avec les autres espèces vivantes, et essaie de dire que les humains sont des animaux, très particuliers mais des animaux quand même.

Des animaux qui ont la particularité d’être res- ponsables d’une destruction de masse du vivant !

En effet, et comme le dit Bella, on en est arrivés au point où il faut que nous, humains, nous nous sauvions... de nous-mêmes. On n’a même plus conscience du tort qu’on se fait à nous-mêmes, en étendant les villes à l’infini, en utilisant des produits chimiques à gogo, en remplissant les océans de plastique... C’est fou. Et cela vient de cette déconnexion du monde vivant.

A quel public destinez-vous ce film ? Aux jeunes ?

On espère qu’il sera vu par tout le monde et qu’il va créer des conversations entre les générations. On a envie qu’il y ait à la fois des ados, qui puissent s’identifier à Bella et Vipulan, qui soient touchés ; et des personnes plus âgées, qui regardent le monde par les yeux de ces jeunes et, du coup, prennent la mesure du décalage entre ce que cette génération veut construire et ce qu’on construit aujourd’hui. Eux, ils sont déjà dans le futur : ils ont 16 ans, ils vont vivre quasiment tout le siècle. La plupart des gens qui sont aujourd’hui au pouvoir – économique ou politique – sont nés au XXe siècle, et pensent comme au XXe siècle.

C’est-à-dire ?

Ils ont une notion du progrès très matérialiste, où le monde vivant est surtout un champ de ressources qu’on peut exploiter.

Baptiste Morizot (3) dit cela dans le film : on fait partie d’une culture qui nous a fait croire qu’on est la seule forme de vie intéressante, et que tout le reste, les fourmis, les forêts, les mammifères, c’est de la matière bête et méchante. Bella et Vipulan, eux, n’en sont déjà plus là. Ils comprennent que ce sont des êtres sensibles, qu’on est dépendants d’eux, que c’est une richesse, une beauté – et que ces espèces ont le droit d’exister pour elles-mêmes sans devoir nous servir à quelque chose. Que continuer à réfléchir en termes de ressources et de croissance, c’est une folie furieuse.

J’avais aussi envie d’emmener cette génération-là dans un voyage qui lui redonne un peu d’horizon. J’ai parlé avec de nombreux jeunes qui marchaient pour le climat, et ce qui m’a touché, c’est le sentiment qu’ils ne voient pas d’avenir possible.

Le cinéma peut-il être vecteur d’un autre regard, d’un autre rapport au monde vivant ?

C’est sûr. Le cinéma mobilise beaucoup d’étages de nous-même : la dimension intellectuelle, l’imaginaire, la capacité d'iden- tification, notre appétit pour les histoires... Tout cela a le pouvoir de nous mobiliser intérieurement de façon très puissante, de nous bouleverser – or, on est comme ça, on n’est pas purement des êtres rationnels. L’émotion, étymologiquement, c’est ce qui nous meut, nous met en mouvement. L’intellect, la théorie, ça ne suffit pas.

D’autres cultures, dans le monde, ont un autre rapport au vivant que le nôtre, collaborent davantage avec le vivant. Pourquoi ne pas les avoir filmées ?

On les a filmées. Des Indiens Terraba au Costa Rica, des villageois au Kenya (qui doivent cohabiter avec le monde animal pour avoir accès à l’eau)... Mais cela ne rentrait pas dans le film, cela demandait des développements trop importants. Cela dit, on envisage de faire un deuxième film avec cela, on a une heure quarante de séquences déjà montées qui vaudraient vraiment le coup. Ce film serait axé sur l’idée de la cohabitation avec le monde vivant. On y montrerait aussi des exemples proches de nous, en France notamment. Des gens qui ont un autre rapport au vivant.


(1) Animal, sorti le 8/12/21. Séances scolaires : www.ecranlarge.be. Cyril Dion a aussi (co-)réalisé le fameux Demain (2015).
(2) Lire l’interview complète sur www.mondequibouge.be
(3) Philosophe, auteur et pisteur. Voir Manières d’être vivant, éd. Actes Sud, 2020.


Symbioses 133 Biodiversité Animal Cyril Dion

Articles associés pouvant vous intéresser