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Insectes en déclin, humains en péril

Insectes en déclin, humains en péril

Insectes en déclin, humains en péril

Septembre 2023, par Christophe Dubois
Un article du magazine Symbioses n°138 : Insectes et autres petites bêtes

 

Essentiels à l’équilibre des écosystèmes et à la vie humaine, les insectes disparaissent aujourd’hui à une vitesse inquiétante. Petit tour des causes et conséquences.

 


Ce sont les animaux que nous croisons le plus au quotidien, mais que nous connaissons le moins. Un gros million d’espèces identifiées. Et, selon les estimations, 5 à 80 fois plus d’espèces encore à découvrir. En nombre d’individus, ils seraient plus d’un milliard de fois plus nombreux que les humains. Un univers apparemment sans limites, à observer à la loupe. Des merveilles de couleurs, de textures, de formes de vie, d’intelligences. Apparues il y a plus de 400 millions d'années (bien avant les dinosaures), ces petites bêtes ont traversé les cataclysmes. Pourtant, aujourd’hui, elles sont menacées comme jamais.

Sur les trente dernières années, les populations d’insectes ont diminué de 70 à 80 % dans les paysages européens agro-industriels (1). Rappelez-vous, il y a trente ans, après une longue route, le pare-brise de votre voiture était criblé de bestioles écrasées. Aujourd’hui, la vitre reste presque immaculée. C’est ce que les scientifiques appellent « le syndrome du pare-brise ». Une étude participative anglaise l’a mesuré, en demandant à des milliers d’automobilistes d'enregistrer, au fil de leurs trajets, le nombre d'impacts d’insectes sur leur plaque d’immatri-culation. Entre 2004 et 2021, celui-ci a chuté de 58,5%.

Au-delà du nombre d’individus, les espèces aussi sont menacées. Selon 73 études publiées depuis 40 ans sur le sujet, 41 % des espèces d’insectes sont en déclin (2). Dans l’indifférence presque générale.

Stop aux pesticides ?

Reconnaissons-le : certaines petites bêtes nous embêtent. Plusieurs espèces (moustiques, tiques, certaines mouches…) peuvent propager de sérieuses maladies ou simplement nous piquer, d’autres détruisent les cultures ou les infrastructures (termites…). Bien souvent, le premier réflexe est de sortir la bombe d’insecticide. L’agriculture intensive en a fait une pratique culturale et culturelle, poussée dans le dos par les multinationales BASF, Syngenta et Monsanto (racheté par Bayer). Aujourd’hui, les insecticides, herbicides et fongicides produits par l’agrochimie sont l’une des principales causes de l’extinction de masse des populations d’insectes. Et pas seulement de ceux jugés « nuisibles», mais aussi de nombreuses autres espèces dites « utiles » (dont les pollinisateurs, notamment). Sans parler des milliers de personnes intoxiquées suite à une trop forte exposition... Parmi les accusés de longue date, une classe d’insecticides super puissants mis sur le marché dans les années 90 : les néonicotinoïdes. Un concentré de produits chimiques utilisés dans la culture de fruits et légumes, mais aussi en foresterie. Ils sont pulvérisés sur les plantes, épandus sur le sol ou enrobent directement les graines. Ce faisant, ils polluent les nappes phréatiques et stérilisent les sols.

Peut-être avez-vous déjà vu ces graines de betteraves transformées en petites billes bleues ? Par cette technique systémique, la plante elle-même devient insecticide, de la racine à la fleur. Si l’utilisation de ces neurotoxiques à base de nicotine est interdite au niveau européen depuis 2018, de nombreux pays continuent à les produire et à les exporter en masse. Au final, ils reviendront donc sous forme de résidus dans l’alimentation que nous importons…

Éclaircie dans ce sombre tableau, le 23 juin dernier, la Belgique a pris la décision de cesser l’exportation de ces néonicotinoïdes (3). Elle en était le premier pays européen exportateur.

Des causes multiples

La pollution par l’agrochimie n’explique pas à elle seule l’inquiétante diminution des populations d’insectes. Les autres grandes causes sont la destruction de leurs habitats, due à l’urbanisation, à l'agriculture intensive et à l’uniformisation des paysages. La pollution lumineuse, aussi. Ou encore l’introduction de pathogènes, d’espèces envahissantes ou de pseudo-auxiliaires (comme la coccinelle asiatique). Et enfin les dérèglements climatiques.

De par leur petite taille et leur incapacité à réguler leur température corporelle, les insectes s’avèrent particulièrement sensibles aux chan-gements environnementaux engendrés par le réchauffement global et l’augmentation des événements climatiques extrêmes (4). Cela affecte leur cycle de vie, leur reproduction et leur aire de distribution. Les premières victimes sont les espèces les moins mobiles, les plus fragiles ou les perdantes de la compétition entre insectes. Par exemple, plus de la moitié des espèces de bourdons européens perdront leur habitat en cas de réchauffement global de 3°C.

Néanmoins, certaines espèces tirent profit du réchauffement, notamment les scolytes qui déciment nos forêts d’épicéas. Ou encore le moustique tigre, potentiel vecteur de maladies graves (la dengue, le zika) et qui survit désormais chez nous (5).

Destins liés

« Si nous perdions les insectes, tout s’écroulerait », annonce pourtant Dave Goulson, professeur à l’Université du Sussex et auteur d’un récent ouvrage alertant sur leur disparition (6). Ces alliés méconnus sont en effet indispensables à la stabilité des écosystèmes et à la vie humaine. A-t-on seulement une idée de leur utilité, des services écosystémiques qu’ils rendent ?

Maillon important de nombreuses chaînes alimentaires, les insectes constituent le repas des araignées, de multiples espèces d’oiseaux, de batraciens, de chauve-souris, de poissons… Si ces petites bêtes disparaissent, c’est tout l’écosystème concerné qui est menacé. Avec, bien souvent, un impact pour les humains. D’autant que les insectes participent aussi au contenu de notre assiette, via l’entomophagie (voir encadré ci-dessous), et surtout en pollinisant les cultures destinées à notre alimentation. « Environ 80% de toutes les espèces de plantes dépendent de la pollinisation par les insectes. Et les trois quarts des cultures que nous faisons pousser dans le monde ne donneraient pas de bonnes récoltes sans les pollinisateurs. Cela inclut presque tous nos fruits et légumes, le chocolat ou le café », résume Dave Goulson (6). Parmi ces pollinisateurs, on cite généralement les abeilles, mais on oublie souvent les autres hyménoptères (fourmis, guêpes, bourdons…), les diptères (mouches, syrphes, moustiques...), les papillons, les coléoptères, etc.
Tous sont importants.

En outre, une partie des insectes et autres petites bêtes aèrent et assainissent les sols ou encore contrôlent les populations de ravageurs agricoles. Ils recyclent aussi la matière organique, participant ainsi au cycle des nutriments et à l’ensemble du vivant. Sans eux, nous serions recouverts de déjections, comme l’a expérimenté l’Australie (7).

« Il faut cesser de porter sur les insectes et sur la nature en général, un regard manichéen. Ni anges ni démons, les insectes sont nos compagnons dans les milieux naturels, pour le meilleur et pour le pire, conclut l’écologue Philippe Grandcolas (2). Leur déclin nous affecte déjà. »


(1) Voir notamment www.mnhn.fr/fr/le-declin-des-insectes-met-en-peril-le-vivant
(2)(2') Qu’est-ce qui tue les insectes, Philippe Grandcolas, The Conversation, 2019.
(3) www.stop-pesticides.be
(4) Scientists' warning on climate change and insects, article publié par 70 scientifiques (dont 3 chercheurs de l’UCLouvain) dans la revue Ecological Monographs, novembre 2022. https://doi.org/10.1002/ecm.1553
(5) Importés chez nous via des produits en provenance d’Asie, des moustiques tigres ont survécu au dernier hiver (trop doux) et se sont reproduits.
(6) Terre silencieuse, éd. Rouergue, 2023. Interrogé dans le quotidien Libération du 12 avril 2023.
(7) Des insectes retrouvent du goût pour la bonne bouse, Libération, 29/02/2004.


« 80% de toutes les espèces de plantes à fleur dépendent de la pollinisation par les insectes »

Symbioses 138 Insectes changeons notre regard

Photo : © Marc Brouwer - Insect Week Photography Competition - Royal Entomological Society


Des insectes dans mon assiette ?

Crackers à la farine de grillon, vers de farine grillés, pâtes protéinées à la farine de ténébrion. Tous ces produits sont apparus depuis peu sur le marché de l’alimentation en Belgique. Entre dégoût et curiosité, l’entomophagie (consommation alimentaire d'insectes) bouleverse les représentations alimentaires en Europe.

Pourtant, cette pratique existe depuis l’Antiquité et concerne aujourd’hui au moins 4 milliards de personnes (consommation régulière ou occasionnelle), essentiellement en Afrique, en Asie et en Amérique Latine.

La FAO1 soutient, depuis 2008, le développement de la consommation des insectes dans tous les pays du monde, pour des raisons économiques et écologiques – même si les arguments envi-ronnementaux restent contestés par certains auteurs (2). L’Union européenne autorise actuellement la commercialisation de produits à base de quatre insectes (ver de farine, grillon domestique, criquet migrateur africain et larve du petit ténébrion).

L’entomophagie est souvent évoquée comme l’alimentation du futur. En quoi est-il intéressant de consommer des produits à base d’insectes? Plusieurs études (3) s’accordent sur un impact environ-nemental plus faible que la viande, pour un meilleur apport en protéines (4). En effet, l’élevage d’insectes à destination de l’alimentation humaine requiert proportionnellement beaucoup moins d’eau, de nourriture et d’espace de terre arable que le bétail. Les insectes émettent, en outre, moins de gaz à effet de serre (notamment de méthane) et rejettent moins de polluants que la production intensive de viande. Toutefois, leur élevage nécessite de la chaleur et un taux d’humidité constant, impliquant des besoins énergétiques im-portants (2).

Reste la question éthique de la production industrielle et de la consommation de masse d'êtres vivants – déjà peu considérés...

C.C.


(1) Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture
(2) Arguments notamment développés – de même que les avantages – dans l’ouvrage critique Des insectes au menu ? de V. Albouy et J-M. Chardigny, éd. Quae, 2016. et dans cet article scientifique
(3) D’après une étude de 2021
(4) D’après une étude de 2017

Symbioses 138 Insectes et autres petites bêtes

Photo : © Alan Clarck - Insect Week Photography Competition - Royal Entomological Society

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