Des toiles plein les yeux
Des toiles plein les yeux
Septembre 2023, par Sophie Lebrun.
Un article du magazine Symbioses n°138 : Insectes et autres petites bêtes
Et si on sortait observer les araignées, si on s’ouvrait à ce monde étonnement diversifié et soyeux ? Balade au fil des Marais d’Harchies, dans le Hainaut, en compagnie d’une guide spécialisée.
Dimanche 18 juin, 9h30, Harchies. Il vient de pleuvoir. Une bonne nouvelle pour la nature, après un mois de sécheresse, mais un bémol pour la balade A la découverte des araignées organisée par le CRIE (Centre régional d’initiation à l’environnement). « On verra un peu moins d’araignées que prévu, du moins dans la prairie non fauchée où elles sont descendues au sol. Et la pluie a pu endommager des toiles », prévient Sabrina Mari, aranéologue.
Qu’à cela ne tienne, la balade sur les sentiers des Marais d’Harchies sera riche en rencontres de tous poils (ou plutôt de toutes soies, le terme approprié pour les poils d’araignées). Sabrina Mari a le regard aiguisé, et 1001 infos et histoires à raconter pour familiariser le grand public avec ce monde méconnu. Cette passionnée de nature, en particulier des oiseaux et des araignées, travaille comme guide et formatrice pour une volée d’associations (1) et de communes. Elle réalise aussi l’inventaire des araignées des Marais d’Harchies. On la surnomme Spiderwoman dans la région…
L’humain n’est pas à leur menu
Avant d’entamer la balade, elle prend la température : « Quelqu’un a-t-il peur des araignées ? ». L’occasion de décrypter cette crainte « typiquement occidentale », et de détisser quelques idées reçues. Dangereuses, les araignées ? Très peu d’espèces le sont pour l’humain, dans le monde (« moins de 10 espèces sur 50.000 peuvent être mortelles, et une douzaine peuvent causer des symptômes sévères »). Et aucune n’est dangereuse en Belgique, où les espèces capables de nous mordre sont très rares. « Et si morsure il y a (l’araignée s’étant sentie piégée), c’est souvent une morsure à blanc. Son venin est précieux, et l’humain n’est pas de la nourriture, à ses yeux (2). » « Me voilà rassurée. J'expliquerai cela à mes élèves, réagit une participante, institutrice. Du coup, on peut les prendre en main ? » Pas si vite : « Les araignées sont fragiles. Et certaines se coupent une patte par réflexe de défense », explique la guide. Cette balade sert aussi à cela : apprendre à adapter son comportement, utiliser une loupe, faire preuve de délicatesse si on manipule un individu, et le relâcher à l’endroit où on l’a trouvé.
Nuisibles, les araignées ? Au contraire ! Elles constituent « un insecticide 100% bio et gratuit », rappelle Sabrina Mari, chiffres à l’appui : l’ensemble des araignées, dans le monde, mangent entre 400 et 800 millions de tonnes d’insectes par an (3).
Tisseuses de toiles ? « Pas toutes. Certaines espèces chassent sans toile, à l'affût ou en coursant leur proie. » Et à propos de toile, celle-ci peut avoir plusieurs fonctions (piège, protection, outil de séduction…) et diverses formes (géométrique, en nappe, en tube, en réseau…). Les participant·es découvrent tout cela au fil d’une balade dont les leitmotivs sont : « dédramatiser, émerveiller, et révéler la grande diversité d’araignées ».
Plus d’un filon pour susciter l’admiration
Les araignées sont partout. Dans l’angle des murs du CRIE d’Harchies (ah! la grande tégénaire domestique qui nous fait si souvent sursauter !), dans les embrouillaminis de ronces, sur des feuilles d’arbres, au sol, dans les interstices d’un observatoire à oiseaux... Sabrina Mari brandit parfois un agrandissement photo : bien utile pour visualiser de si petits animaux. En 3 heures et moins de 5 kilomètres, le petit groupe fait la connaissance d’espèces variées en termes d’habitats, de morphologies et de comportements.
On s’émerveille devant une petite araignée ronde aux motifs roses et jaunes (une Enoplognatha, cousine de… la veuve noire) ; un délicat cocon en forme de goutte (façonné par une Ero furcata) ; des araignées sauteuses dont la guide nous décrit la parade nuptiale (le mâle effectue une véritable chorégraphie) ; ou devant une agélène à labyrinthe dans sa toile alambiquée, où « elle tissera bientôt une chambre et une nacelle pour poser son cocon ». Voilà une image qui parle aux humains. « Avec des enfants, prolonge Sabrina Mari, on peut aussi faire un petit jeu, à l’aide de photos. Laquelle de ces araignées s’est déguisée en crabe ? en frelon ? etc. » (4) Autre filon pour titiller notre admiration : évoquer leur résistance (« le pholque peut rester six mois sans manger ») et celle de leurs fils de soie, « cinq fois plus résistants que l’acier! ».
En fonction de son public, la guide cite ou non les noms latins. « Il faut dire aussi que peu d’araignées ont un nom vernaculaire ! » Un signe du manque d’intérêt pour ces petites bêtes. Très peu d'espèces sont protégées, par ailleurs (5).
La balade de ce matin, elle, aura aidé à tisser des liens avec les araignées. On quitte Harchies des (é)toiles plein les yeux.
(1) CRIE d’Harchies, Natagora, Défi Nature, Parc naturel des Plaines de l’Escaut...
(2) Le venin sert à paralyser et pré-digérer les proies, que l’araignée doit liquéfier car elle ne peut avaler de nourriture solide.
(3) Selon une étude suédo-suisse.
(4) Les araignées-crabes sont ainsi nommées en raison de la forme de leurs pattes, l’épeire-frelon en référence à ses rayures jaunes et noires, etc.
(5) Aucune espèce d’araignée n’est protégée en Belgique, ni en France métropolitaine (où une espèce sur six est menacée ou quasi menacée, cf.https://inpn.mnhn.fr).
Photo : Sophie Lebrun
Photo : CCO Pexels
Photo : Sabrina Mari