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Sénégal : gérer l’eau comme un bien commun

Sénégal : gérer l’eau comme un bien commun

Sénégal : gérer l’eau comme un bien commun

Décembre 2024, par Déborah Chantrie (Eclosio)
Un article du magazine Symbioses n°142 : Connaissez-vous vraiment le cycle de l'eau ?


Au Sénégal, les petites exploitations familiales sont privées d’une eau devenue de plus en plus rare. L’ONG Eclosio tente de réparer cette injustice en formant les paysan·nes et en tirant la sonnette d’alarme auprès des politiques.


Symbioses 142

Photo :  Yessal Sunu Mbaye

Les changements climatiques touchent de plus en plus de personnes dans le monde. Inondations, vagues de chaleur, ouragans dévastateurs… ces bouleversements exacerbent les inégalités et affectent de manière disproportionnée les pays les moins émetteurs de CO2. C’est le cas du Sénégal, où les populations rurales, dépendantes de l’agriculture, font face à des épisodes de sécheresse qui menacent profondément leur sécurité alimentaire. Constaté depuis les années 70, ce phénomène de vagues de sécheresse impacte directement l’agriculture familiale. Alors qu’il y a une seule saison des pluies sur l’année, les sécheresses pendant cette période entraînent irrémédiablement des pertes de cultures, affectant directement l’alimentation et les revenus des ménages ruraux qui en dépendent.

Des moyens inégaux

« Dans notre zone, l’eau est un problème, aussi bien pour la consommation que pour la production. Je n’ai pas de source d’eau à la maison, et chaque jour je parcours des centaines de mètres pour aller chercher de l’eau dans des bidons de 20 litres », témoigne Henriette Diène, paysanne de la commune de Mont-Rolland, à Thiès, au Sénégal.

Dans cette région sahélienne, l’eau est une ressource de grande importance et, en devenant de plus en plus rare, elle suscite beaucoup de concurrence, créant des déséquilibres majeurs. En effet, outre le manque d’eau pluviale, la compétition pour l’accès à l’eau souterraine est de plus en plus rude. Les petit·es agriculteurs et agricultrices se retrouvent face à des entreprises agro-industrielles, ayant des moyens financiers importants, qui forent en profondeur pour accéder à l’eau des nappes phréatiques, épuisant ainsi ces réserves. Face à ces géants, les paysan·nes, qui n’ont évidemment pas les mêmes moyens, peinent à rendre leur travail rentable. Au Sénégal, par exemple, dans la région d’Henriette, les industries puisent jusqu’à 200 mètres en dessous de la terre. Une profondeur inatteignable par les petit·es producteurs et productrices.

La raréfaction de l’eau dans cette zone les oblige à trouver des alternatives pour l’économiser, tandis que les grandes entreprises ont souvent accès à des infrastructures d’irrigation sophistiquées et coûteuses.

En  raison de l’impossibilité de cultiver par manque d’eau, les paysan·nes se retrouvent souvent dépossédé·es de leurs terres et employé·es par les grandes entreprises agro-industrielles. Il est donc crucial de mettre en place des mesures pour soutenir les petit·es agriculteurs et agricultrices, et d’assurer une distribution équitable de l’eau productive, utilisée pour l’irrigation ou pour la consommation humaine et animale. C’est l’une des missions que s’est donnée l’ONG Eclosio.

Comment réconcilier deux modalités d’usage ?

Comment rassembler autour de l’eau pour gérer cette ressource en tant que bien commun, qui doit être utilisée de manière durable et inclusive ? Pour Fatou Ndiaye, cheffe de projet d’Eclosio, c’est une priorité : « L’une de nos actions, c’est de mettre à disposition des autorités les informations et les préoccupations de nos producteurs et productrices par rapport à cette ressource qui se raréfie de jour en jour. Il faut corréler à cela l’irrégularité des pluies à cause du changement climatique, la présence des industries extractives et de l’agrobusiness. Tout ce cocktail fait que dans la zone de Mont-Rolland, on se demande où on en sera, d’ici 5 ans, même pour l’accès à l’eau potable. Ils ont des problèmes parce que le forage tombe en panne. Il n’y a pas assez d’eau, la situation est vraiment compliquée. »

L’eau n’est pas un bien économique que l’on peut exploiter à outrance. C’est avant tout un bien commun environnemental qui doit être protégé, car elle rend des services sociaux et écosystémiques inestimables. Les nappes phréatiques, par exemple, sont des réservoirs d’eau précieux, qu’il faut préserver.

C’est dans ce contexte qu’Eclosio intervient afin de promouvoir une gestion sociale des ressources en eau, qui repose sur 4 principes clés : une gestion locale, participative, reconnaissant que le rôle des femmes est central, et que l’eau est un bien économique et social. En travaillant avec les agriculteur·ices qui s’opposent à l’agrobusiness, Eclosio les accompagne dans la transition agroécologique.

Une productrice témoigne : « Avec l’aide du programme Système alimentaire durable (1), nous avons commencé à recycler des pneus et des bouteilles en plastique pour cultiver nos légumes. Cette technologie me permet d’irriguer tous les deux jours, surtout pendant la contre-saison froide. J’ai remarqué que la production de laitues est beaucoup plus rapide dans les pneus (2) que sur le sol. »

Apprendre ensemble, pour gérer ensemble

De nombreux moyens permettent de réduire la quantité d’eau utilisée, en testant des pratiques innovantes à travers la méthodologie du champ école paysan (CEP), chère à Eclosio. Cette approche participative réunit des groupes d’agriculteurs et agricultrices afin d’apprendre par la pratique. En ayant une meilleure compréhension des problématiques, et en expérimentant directement dans un champ, les paysan·nes, accompagné·es par un animateur ou une animatrice, vont résoudre des problèmes collectivement. Paillage, construction de petites digues, fertilisation des sols pour mieux retenir l’eau, les techniques sont testées, observées et comparées.

L’un des grands avantages des CEP est qu’ils favorisent une approche collective des solutions, notamment en ce qui concerne la gestion de l’eau. En travaillant ensemble, producteurs et productrices peuvent adopter des solutions à l’échelle du village ou de la communauté pour gérer les ressources en eau de façon équitable et durable. Cela renforce aussi la gouvernance locale et l’implication communautaire dans les décisions sur l’eau.

Les défis liés à la sécheresse, à la gestion des ressources en eau et à l’agrobusiness dans des collectivités territoriales comme Mont-Rolland, nécessitent une approche intégrée et participative. En favorisant l’apprentissage par la pratique et la gestion collective, les champs écoles paysans permettent d’adopter des pratiques durables qui améliorent la résilience face aux changements climatiques.


(1) Financé par la Direction générale Coopération au développement et Aide humanitaire belge (DGD)
(2) Séparé de la terre par le placement d’un voile, afin d’éviter toute contamination par des polluants

Photo :  Yessal Sunu Mbaye
Au Sénégal, les paysan·nes gèrent ensemble une eau de plus en plus rare, notamment grâce aux “champs écoles paysans”.

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