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Article Symbioses

Valoriser la pluie

Valoriser la pluie

Valoriser la pluie

Décembre 2024, par Céline Teret
Un article du magazine Symbioses n°142 : Connaissez-vous vraiment le cycle de l'eau ?


La gestion intégrée des eaux pluviales (GIEP) s’impose là où le béton empêche les eaux de s’infiltrer, là où les égouts sont saturés, là où les inondations sévissent. Explorons trois initiatives de sensibilisation à Bruxelles. Pour envisager la pluie comme une ressource essentielle au cycle naturel de l’eau.


Symbioses 142

Photo : Céline Teret
L’exposition Après la pluie sensibilise le grand public à la problématique des eaux pluviales en zone urbaine.


Porte d’Anderlecht, non loin du centre de Bruxelles. Un nuage se détache du plafond du Musée des Egouts. Douze gouttes en tombent, suspendues à des ficelles. Vous venez de pénétrer dans l’exposition temporaire Après la pluie (1). Derrière les allures poétiques de ce nuage, rien n’est laissé au hasard. Les douze gouttes représentent les douze mois de l’année. Et si la hauteur des fils varie, c’est pour marquer la quantité de pluie qui tombe d’un mois à l’autre. Sur chaque ficelle, des billes bleues au nombre variable : le nombre de jours de pluie par mois. Sous le nuage, une maquette façonne les reliefs bruxellois. On y voit la Senne et le canal en fond de vallée, et les hauteurs de part et d’autre. « Imaginez que le nuage de pluie se déverse sur la maquette, pour vous faire une idée du chemin que l’eau prendra, lance Sophie Vanderschueren, coordinatrice de projets de médiation scientifique au Musée des Egouts. Ce nuage, c’est une façon symbolique, mais basée sur des chiffres de l’Institut Royal Météorologique, de représenter la pluie qui tombe en moyenne sur Bruxelles au cours d’une année. Et de constater qu’il pleut différemment selon les mois et les endroits où on se trouve. »

Des panneaux didactiques se succèdent ensuite, permettant, par exemple, de mieux se représenter 1mm de pluie ou encore de comprendre les mécanismes de formation des précipitations ainsi que les enjeux autour de l’évacuation de ces pluies en zone urbaine. Au fil de la visite est posé le contexte, celui de Bruxelles, en proie, comme la plupart des villes, à de plus en plus de fortes pluies, dues au réchauffement climatique global, et à une urbanisation et une bétonisation grandissantes. « Depuis le milieu du 20e siècle, à Bruxelles, on a doublé les surfaces imperméables, poursuit Sophie Vanderschueren. La pluie a donc beaucoup moins de lieux où s’infiltrer et va ruisseler dans les égouts les plus proches. » Conséquence : un réseau d’égouttage saturé et des inondations dans les points les plus bas de la ville.

Pour expliquer ces phénomènes d’écoulement des eaux de pluie, un bac à sable à réalité augmentée invite les visiteurs et visiteuses à y plonger les mains pour former des reliefs et à y faire tomber une pluie virtuelle, grâce à une projection d’images qui s'adaptent aux modifications topographiques. On peut aussi placer des maisons, en amont et en aval. Le constat émerge sous nos yeux : les habitant·es du bas sont davantage exposé·es aux inondations. Du bout des doigts, on palpe tout l’enjeu de la « solidarité de bassin versant » ou comment élaborer des réponses communes pour être solidaires envers les habitant·es et les quartiers situés en fond de vallée.

L’exposition Après la pluie s’achève donc sur les pistes possibles, à l’échelle individuelle et collective. On y découvre des exemples concrets de solutions orientées gestion intégrée des eaux pluviales (GIEP), visant à éviter le ruissellement des eaux de pluie vers le réseau d’égouttage et à reconnecter l’eau à son cycle naturel. Des solutions basées sur la nature, depuis les toits jusqu’aux jardins. Et des aménagements inspirants dans l’espace public pour mieux lutter contre les inondations et les îlots de chaleur urbains.

Au-delà de l’exposition temporaire, la GIEP s’est également immiscée au cœur de l’exposition permanente du musée. Deux panneaux ont été mis à jour en ce sens, comme l’explique Sophie Vanderschueren : « On souhaite montrer que les solutions d’avenir ne se situent pas dans le tout à l’égout, mais dans la ville éponge, permettant d’infiltrer et donc de valoriser l’eau de pluie. Il s’agit de changer de vision, de percevoir l’eau de pluie comme une ressource et non plus comme un déchet. » Grâce à l’expertise de Bruxelles Environnement, les guides du Musée des Egouts ont été formé·es à ces enjeux émergeants afin de les distiller de façon pérenne dans les différentes expositions du musée.

En balade

Plus au nord de Bruxelles, quai des Péniches, le long du canal, vous trouverez Coordination Senne. Au travers de ses activités d’information et de sensibilisation, l’association œuvre pour une gestion intégrée et interrégionale des cours d’eau et zones humides du bassin de la Senne. Depuis peu, Coordination Senne se penche donc, elle aussi, sur la GIEP.

Dans un premier temps, l’association a décidé d’élargir son offre de balades à destination du grand public et des écoles en proposant de nouveaux parcours. Dans le quartier du Heysel, au nord de Bruxelles, d’abord, et dans le centre de la capitale, ensuite. Y seront explorées la gestion des eaux pluviales en ville et ses évolutions, la situation actuelle et ses limites, ainsi que les options possibles, telles que les solutions de GIEP, fondées sur la nature, sur l’infiltration des eaux de pluie, sur le cycle naturel de l’eau... Au fil du parcours, les promeneurs et promeneuses découvriront des aménagements en cours ou à venir sur les voiries, des réalisations concrètes, comme des toitures végétalisées, des jardins de pluie (2)... « L’idée n’est pas de donner des conseils techniques pour réaliser soi-même ces aménagements, mais de distiller des exemples concrets pour montrer qu’il est possible d’agir à différentes échelles. Et d’ouvrir le débat. »

Parmi les objectifs de ces nouvelles balades, contribuer à changer la vision de l’eau en ville. « On interroge : pourquoi, actuellement, l’eau de pluie se mélange avec les eaux usées et quelles sont les autres possibilités ? Tout l’enjeu est de valoriser l’eau comme une ressource. Parce que nous, et tous les êtres vivants, nous sommes tous dépendants de l’eau. »

Chez Coordination Senne aussi, les guides-animateurs viennent d’être formé·es par Bruxelles Environnement pour intégrer le thème de la GIEP de façon transversale dans les balades existantes le long des cours d’eau ou dans les animations en classe.

D’autant que l’eau fait partie intégrante de l’histoire de Bruxelles, qui doit son nom à sa situation : Bruocsella signifiant implantation dans le marais. « Au fil des siècles, des décisions ont été prises visant à se débarrasser de l’eau, que ce soit en modifiant le tracé des cours d’eau, en les voûtant, en asséchant les zones humides ou encore en connectant les sources ou cours d’eau aux égouts, ce qui fait qu’aujourd’hui le réseau hydrographique a quasiment disparu du paysage bruxellois, explique Frédéric Guyaux. Dans nos activités, on essaie de recréer auprès du public cette connexion avec l’eau et de montrer qu’il existe des leviers permettant de réintégrer l’eau en ville. Ce n’est pas qu’une question de meilleure gestion des eaux, cela a aussi des avantages sur le paysager, la nature et le bien-être des populations. »

Déconnectez vos gouttières !

Outre des balades et des expos, des chantiers de construction collective ont aussi battu leur plein, sur quatre communes bruxelloises situées dans la vallée du Molenbeek. A vos pelles et binettes, récupérateurs d’eau de pluie et plantes vivaces ! De 2021 à 2023, plusieurs partenaires (scientifiques, praticien·nes, habitant·es, administrations) ont collaboré dans le cadre de Brusseau Bis, un projet de développement expérimental issu des travaux de la Recherche Brusseau et financé par Innoviris. L’objectif ? Proposer et expérimenter des outils permettant de soutenir la mise en place d’approches liées à l’eau, dont la gestion intégrée des eaux pluviales, et ainsi d’agir sur la réduction des risques d’inondations à Bruxelles.

Dans des espaces privés ou publics, des jardins individuels ou des logements sociaux, une dizaine de projets sont donc sortis de terre, avec un focus sur l’infiltration des eaux de pluie et la végétalisation. Déconnection de gouttières, installation de citernes hors-sol, aménagement de mares, jardins de pluie, noues… autant de solutions de GIEP qui ont pris forme, avec les habitant·es, suite à des ateliers participatifs de co-création. « Tout était co-pensé et co-designé, puis co-construit, explique Andrea Aragone, architecte-urbaniste du Centre Louise de la Faculté d’architecture La Cambre Horta. Les chantiers, surtout ceux situés dans l’espace public, étaient aussi l’occasion de sensibiliser un public plus large. On creusait et plantait ensemble, on mettait les mains à la terre, on était dans le concret et on voyait directement les résultats. » L’idée était aussi de montrer ce qu’il est possible de réaliser comme aménagement selon son contexte et lieu de vie. « Un geste aussi simple que déconnecter sa gouttière fait déjà la différence », souligne l’architecte-urbaniste.

Ce projet a aussi permis aux habitant·es de se réapproprier certains espaces, d’y réactiver une dynamique citoyenne qui, en certains endroits, se poursuit encore aujourd’hui. Au quartier de la Marelle, à Ganshoren, par exemple, un jardin de pluie a été créé avec plusieurs citoyen·nes pour soutenir la biodiversité, préserver un espace de fraîcheur en ville et diminuer le ruissellement de l’eau de pluie vers les égouts. Un espace qui fait aussi office de petit musée végétal dans le quartier, qu’il est possible de visiter. Et du côté du square Léopold à Laeken, au milieu de logements sociaux, certaines gouttières ont été déconnectées, un jardin de pluie créé, un potager arrosé grâce à la récupération des pluies… Un espace aujourd’hui encore utilisé et entretenu par quelques habitant·es avec une association locale.

Afin de laisser une trace, une publication a vu le jour : « Construire Ensemble - Catalogue Do It Yourself : un guide pour faire des jardins de pluie et autres dispositifs dans nos jardins ». Avec la participation des habitant·es, cinq dispositifs (noue, fossé, jardin de pluie, mare et citerne hors sol) y sont présentés. De quoi en inspirer d’autres, ailleurs.


(1) Après la pluie, exposition ouverte au public et aux écoles jusqu’au 22/06/2025. Plus d'infos
(2) Un jardin de pluie est une zone de végétation dense et diversifiée, qui stocke l’eau de pluie des toitures et voiries, favorisant l’infiltration des eaux dans le sol et participant à l'évapotranspiration.


Photo : Coordination Senne
Une classe de secondaire se plonge dans la gestion intégrée des eaux de pluie, au fil d’une balade dans le quartier du Heysel, guidée par Coordination Senne.

Photo : Eve-Anne HK

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