Dès le plus jeune âge, éduquer à la complexité
Dès le plus jeune âge, éduquer à la complexité
Mai 2021, propos recueillis par Sophie Lebrun
Un article du magazine Symbioses n°130 : Oser les questions vives
Des questions vives et complexes peuvent-elles être abordées avec des enfants ? Oui, répondent en chœur deux enseignantes d’une haute école pédagogique.
Delphine Boulanger et Marie-Pierre Defraiteur donnent cours aux futur·es instituteurs et institutrices primaires, à la Haute Ecole Libre Mosane Saint-Roch, à Theux. La première enseigne l’éveil scientifique et l’initiation à la recherche, la seconde – actuellement en pause carrière – l’éveil géographique. Elles ont également initié un cours d’éducation à l’environnement et au développement durable.
Est-il possible et souhaitable d’aborder des questions socialement vives (QSV) à l’école primaire ?
Delphine Boulanger : Oui, car les questions socialement vives permettent de développer la pensée complexe dès l’école primaire. L’enseignement se limite trop souvent à des apprentissages disciplinaires cloisonnés, alors que le monde réel, c’est la complexité. Les questions socialement vives, grâce à des échanges, des discussions, permettent le développement de l’esprit critique, de l’ouverture d'esprit, de la pensée divergente (il peut y avoir plusieurs réponses, solutions) et donc de la pensée complexe (la capacité à établir des relations de cause à effet, à relier des éléments qui au départ semblent indépendants). C’est possible dès le primaire.
Marie-Pierre Defraiteur : Edgar Morin dénonce les dérives de notre enseignement qui compartimente les savoirs : on n’a plus de connaissances intégratives. Il est fondamental de reprendre les choses dans leur globalité et dans leurs nuances, se remettre en question, douter. Les QSV sont un bel outil pour amener tout cela à l’école, pour amener les jeunes à réfléchir par eux-mêmes, à appréhender la complexité, se positionner, argumenter et, in fine, agir. A l’école primaire, on sème ces graines, qui vont se développer par la suite. Et, déjà, on légitime les enfants dans le fait qu’ils ont un avis à donner et qu'ils peuvent le donner.
Les enseignant·es – et les parents – ont parfois le sentiment qu’aborder des QSV va prendre du temps au détriment du reste. Or à travers celles-ci, on aborde aussi des contenus-matières et on construit des concepts, de façon autre.
Comment faire le lien avec les matières, les programmes ? Auriez-vous un exemple ?
DB : Si l’on prend une QSV sur le réchauffement climatique, par exemple : on peut évoquer les états de l’eau en parlant de la fonte des glaciers, ou la poussée d’Archimède en parlant des icebergs. On intègre alors la matière dans une réflexion globale, dans un sujet d’actualité. La diminution de la biodiversité peut facilement être reliée au thème des chaînes alimentaires.
MPD : On n’est pas obligé·e de partir des programmes. On peut faire l’inverse : partir de ce qu’il nous semble important, à l’heure actuelle, d’apporter aux jeunes et, de là, chercher comment cela rentre dans les programmes. Parfois en se reliant aux compétences transversales : se poser des questions, s’ouvrir aux autres...
Par quelles méthodes peut-on aborder des questions socialement vives en primaire ?
DB : En privilégiant ce qui permet d’avoir des échanges, des discussions. Il y a les discussions à visée philosophique et les débats argumentés. Ce sont des dispositifs avec un cadre à respecter : écouter l’autre, ne pas juger l’autre, ne pas se moquer, se manifester pour prendre la parole… Le théâtre-forum aussi : dans un premier temps les profs mettent en scène une saynète caricaturée sur un thème, et dans un second temps ils la rejouent en invitant les élèves à prendre leur place quand ils le souhaitent pour changer la réplique et améliorer la pièce, proposer des solutions. Le photolangage, par ailleurs : chacun·e choisit une image dans un assortiment, en fonction d’une consigne, puis exprime pourquoi il a fait ce choix.
Et vous, comment abordez-vous la complexité avec vos propres étudiant·es, qui sont de futur·es enseignant·es ? Un exemple concret ?
DB : Aux étudiant·es de Bac 2, pour aborder le système alimentaire, nous proposons le jeu de la ficelle réalisé par les asbl Quinoa et Rencontre des Continents (voir Outils pp. 22-23). Il permet de prendre conscience de la complexité du système, des liens existant entre les différents éléments, des différents acteurs (notamment ceux qui tirent les ficelles : les multinationales, la publicité...) et des multiples impacts (sur la population, sur les éléments naturels…).
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