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Des saumons en classe

Des saumons en classe

Des saumons en classe

Mai 2022, par Christophe Dubois
Un article du magazine Symbioses n°134 : Mer du Nord Apprendre le large


Un moment disparu de nos rivières, le saumon atlantique fait à nouveau l’aller-retour entre le bassin mosan et la mer du Nord. Des classes de primaire participent d’ailleurs à sa réintroduction. De quoi naviguer de la Wallonie à l’océan, d’une discipline à l’autre.

 


Dans la classe de 5e et 6e primaire de l’école communale de Hony, à Esneux, c’est le grand jour. L’effervescence se mélange à la tristesse. Les alevins de saumon atlantique sont enfin prêts à quitter l’aquarium qui trônait dans la classe depuis janvier. Retour à l’état sauvage. Il va falloir s’en séparer. Il y a deux mois, Pierre Pirotte, du Contrat de rivière Ourthe, débarquait pour expliquer le projet et installer l’appareillage de pointe : aquarium, filtre, refroidisseur pour maintenir l’eau à 8°C, pompe à air, thermomètre. Puis y déposer les œufs de saumon issus du Conservatoire du saumon mosan d’Erezée (CoSMos). Il est déjà loin le matin où, émerveillés, les enfants découvraient que les œufs avaient éclos.

Cela fait donc dix semaines que les 21 élèves de madame Kerdraon veillent au quotidien – vacances de carnaval comprises ! – sur la progéniture du plus grand poisson migrateur de Wallonie. Les tâches sont précises et assurées avec soin : vérifier la température et l’état de l’eau, le bon fonctionnement des pompes, mesurer le pH, retirer les œufs blancs ou les alevins morts… et noter le tout dans un « carnet du bon pisciculteur ». 

« Vous avez fait un super boulot, félicite l’animateur, en constatant la quantité d’alevins nageant dans l’aquarium. Le sac vitellin qui les nourrissait depuis l’éclosion s’est fortement résorbé, les jeunes poissons vont devoir trouver leur nourriture eux-mêmes, en rivière. » 

Incroyable odyssée

Direction le pont de Mery, à 15 minutes à pied, pour les déverser dans l’Ourthe. Sur le trajet, l’institutrice revient sur les exploitations pédagogiques du projet : « Grâce aux fiches et au dossier pédagogiques fournis, les enfants ont calculé le volume d’eau de l’aquarium, le pourcentage de poissons qui deviendront adultes, ils ont dessiné à l’échelle, découvert l’incroyable cycle de vie des saumons. On a fait de la géographie aussi, en retraçant leur migration depuis le bassin mosan jusqu’à la mer du Nord puis l’océan Atlantique, aller et retour… » Un parcours semé d’embûches, tant les menaces pesant sur le saumon belge sont nombreuses. Abondante en Meuse et dans ses affluents jusqu’en 1840, cette espèce parapluie (1) avait disparu complètement en 1935 à cause de l’industrialisation, des barrages de navigation, de la pollution et de la surpêche en mer et en rivière. Heureusement, grâce à l’ambitieux projet Meuse Saumon 2000 visant à rétablir le cycle de vie complet du saumon atlantique dans le bassin de la Meuse, l’emblématique poisson est de retour chez nous. Et l’action éducative du jour y participe, à son échelle. 

Au bord de l’eau, les élèves rendent délicatement les alevins à leur milieu naturel. « C’est émouvant, un lien émotionnel s’est tissé, constate Joëlle Kerdraon. Les enfants aimeraient leur poser une puce pour pouvoir suivre la suite de leur vie. » La suite de leur vie, si tout se passe bien, les élèves la connaissent déjà, pour l’avoir étudiée en classe et au centre Cosmos (voir ci-dessous) : après un à deux ans passés dans nos rivières, les poissons vont rejoindre progressivement la mer et se métamorphoser pour survivre en eau salée. Là, ils vont atteindre leur stade adulte. Après deux ou trois ans en mer, jusqu’au Groenland, les saumons entament le trajet retour pour aller frayer dans les rivières. S’ils parviennent à franchir le barrage de Haringvliet, dans l’estuaire hollandais, principal obstacle non encore complètement levé, chaque saumon retrouvera, par l’odeur, sa rivière natale, pour s’y reproduire. Un parcours incroyable de 10.000 km ! 

Se connecter à la rivière et à l’environnement

« Ce que j’ai préféré, c’est voir l’évolution en réel », lance le jeune Max, en quittant les berges de l’Ourthe. « Moi, c’est les relâcher », répond sa copine Lena. « Mais pour ça, il ne faut pas polluer la nature », conclut Louis. « J’adore les projets, et celui-ci correspondait parfaitement à notre projet d’établissement centré sur l’environnement et le bien-être, souligne l’institutrice. Les enfants étaient surpris de constater la problématique des micro-plastiques dans nos rivières, et donc de bioaccumulation par les saumons. A l’école, on est dans une politique zéro déchet. »

Pour analyser la qualité de l’eau et son impact sur la faune, les enfants vont d’ailleurs mesurer son indice biotique. « Quand il fera un peu plus chaud, je reviendrai et on pêchera des petites bêtes », annonce Pierre Pirotte, qui a accompagné la classe semaine après semaine. Les gamin·es se réjouissent. Ce lien joyeux à la rivière faisait d’ailleurs aussi partie des objectifs du projet d’Esneux, commune durement frappée par les inondations de l’été 2021. Juste derrière le groupe, au pied du pont, un camping a été complètement rasé par les flots. « Il y a eu cinq morts. Les enfants sont marqués psychologiquement », confie Pierre. Mais aujourd’hui, la vie a repris le dessus. 


(1) Une espèce parapluie désigne une espèce dont l'espace vital est très grand. La restauration de son habitat améliorera, par voie de conséquence, l'habitat d'un grand nombre d'autres.

Symbioses 134 Mer du Nord

Photo : Christophe Dubois


Visite de CoSMos

Le Conservatoire du saumon mosan (CosSMos), à Erezée, est un lieu étonnant et méconnu. « Ici, on élève les saumons non pas pour les fumer, mais pour les réintroduire dans la nature », entame Amaury Jadin, de l’asbl Rivéo. L’association propose l’animation CoSMos - L’Odyssée du saumon, dans le cadre du programme Saumons en classe (lire ci-dessus) ou sur réservation. Aujourd’hui, devant l’animateur : la classe de 5e-6e de l’école communale de Fisenne, venue dans le cadre des Journées wallonnes de l’eau. « L’école est située à quelques kilomètres, je voyais ces beaux bâtiments, mais j’ignorais complètement leur finalité », s’étonne l’institutrice. Durant tout l’après-midi, les élèves ne vont pas visiter les bassins, mais jouer. Après avoir déplacé des tables d’observation pour recomposer la vallée mosane, le groupe est divisé en 5 équipes : quatre équipes vont tenter de réintroduire le plus de saumons possible, et la cinquième va essayer de poser des obstacles (barrage, pollution, bâteaux de pêche) sur leur route migratoire. Pour cela, elles vont devoir répondre à des énigmes. Ça débat, ça cherche, ça court, ça rigole. L’air de rien, les enfants comprennent le cycle de vie du saumon, les menaces qui pèsent sur lui et les efforts consentis pour rendre possible son retour dans nos rivières. Un retour lent : chaque année, ce sont près de 500.000 saumoneaux relâchés. Pour seulement quelques dizaines de saumons adultes revenus l’an passé. 

Le programme Saumon en classe existe depuis cinq ans et est réservé à une poignée de classes du troisième degré de l’enseignement primaire, situées sur le territoire d’une commune partenaire d’un des Contrats de rivière participants (Ourthe, Amblève, Lesse, Semois, Meuse Aval). Certains Parcs naturels et associations proposent des programmes similaires, y compris dans le bassin de l’Escaut (alors avec des truites) - voir Adresses utiles.

Symbioses 134 Mer du Nord

Photo : Christophe Dubois

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