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Éduquer à l’environnement en maternelle : une question de confiance ?

Éduquer à l’environnement en maternelle : une question de confiance ?

Éduquer à l’environnement en maternelle : une question de confiance ?

 

Mai 2022, par Maëlle Kahan
Un article du magazine Symbioses n°135 : Eduquer à l’environnement en maternelle


Il n’est pas toujours facile d’oser se lancer dans une activité d’éducation à l’environnement avec des tout-petits. Pourtant, l’essentiel est à portée de main quand on vise la rencontre entre les enfants et l’environnement. Et si on décidait de (se) faire confiance ?

 

 


On pourrait penser que pour éduquer de jeunes enfants à l’environnement, il faut avoir révisé sa bible du potager, que la forêt et les écosystèmes n’aient plus de secret pour nous, que les enfants soient familiers avec le milieu naturel et ses problématiques, ou encore qu’il faut nécessairement être dans un espace vert. Pourtant, non, il ne faut pas être un·e spécialiste de l’environnement pour s’intéresser à ce qui pousse dehors, à ce que devient un déchet ou encore à son quartier. Et encore moins avec les tout-petit·es, curieux et enthousiastes par nature. Mais alors, d’où vient cette idée qu’il faille en connaître un rayon afin d’éduquer à l’environnement ? 

Cette croyance suit une certaine logique : la nature a besoin d’être protégée, et pour la protéger on a besoin de l’aimer et donc, de la connaître. De même pour les enjeux environnementaux, comme les questions énergétiques ou liées à la pollution : il faudrait être scientifique pour répondre aux interrogations des enfants. Et pourtant ! La connaissance, ce n’est pas que des savoirs et des savoir-faire. Finalement, en maternelle, il s’agit plus de faire connaissance avec le milieu ou le sujet abordé que d’en intégrer des connaissances. « Apprendre à connaître la nature, c’est aussi surmonter ses peurs (araignées), ses dégoûts (ver de terre), ses inconforts (pluie). C’est y prendre du plaisir et s’y sentir bien », explique Laurence Jonkers, animatrice en nature et ingénieure des eaux et forêts. Ce changement de perspective de l'Éducation relative à l'Environnement (ErE) induit-il une posture particulière ? Un autre rapport à soi, au milieu rencontré et au groupe d’enfants ?

Permettre la rencontre

Si on souhaite donner la possibilité aux enfants de développer un sentiment d’appartenance au milieu et une envie de s’y engager, il faut mettre l’accent sur la rencontre entre eux et ce milieu. Cette rencontre est encouragée « dans tous les domaines d’apprentissage : tels qu’ils sont décrits dans le nouveau référentiel propre à l'enseignement maternel (1), il y a une mention claire indiquant que l’enfant doit être ouvert à l’autre et à son environnement, ce qui favorise l’ErE », rappelle Sylvie Pirotte, inspectrice pour la Fédération Wallonie-Bruxelles. Si l’on se place uniquement en référent·e, pouvant délivrer les réponses aux questions surgissantes, c’est entre nous et les élèves que se tisse une relation. Tandis que si on se positionne de façon à faire médiation entre ceux-ci et le milieu, on permet un lien plus étroit entre les enfants et leur environnement ou la thématique environnementale abordée. Cette posture de médiation implique non pas de délivrer le savoir, mais de le chercher avec eux.

D’où vient cette idée qu’il faille en connaître un rayon afin d’éduquer à l’environnement ?

Oser l’incertitude féconde

N’empêche, il n’est pas si simple de lâcher prise sur les connaissances qu’on serait rassuré·e d’avoir avant de lancer une activité d’ErE, surtout lorsqu’elle se déroule dehors. Laurence Jonkers, pourtant expérimentée, en témoigne : « C’est vrai qu’avant une sortie, je peux avoir peur que l’animation ne soit pas rodée, que tout ne soit pas fluide, de ne pas tout savoir sur les sujets abordés. J’ai toujours la crainte de ne pas être au top, niveau contenu. De prévoir trop ou pas assez. » Face aux incertitudes, Anne Le Docte, enseignante maternelle (M2-M3) à l’école des Aigrettes, adopte une posture d’apprenante : « De par mes intérêts, j’ai une série de connaissances, mais on n’a pas non plus la science infuse, on se questionne, on fera des recherches une fois rentrés pour approfondir. Et par ailleurs, les enfants aussi ont des connaissances sur lesquelles on peut s’appuyer. »

Un élément central de l’éducation relative à l’environnement qui ressort dans ces témoignages, c’est qu’avant d’apporter des réponses, ce sont des activités qui invitent à se poser des questions, à cultiver un regard curieux sur l’environnement, dans la classe ou aux alentours.
Cette posture d’apprenant·e est également plébiscitée par Sylvie Pirotte : « Si l’institutrice ne se pose pas de question, elle ne va pas inciter les enfants à le faire. » De même pour Michèle Eloy, conseillère pédagogique pour l’Enseignement des Communes et des Provinces (CECP), ce n’est plus tant une posture transmissive qui est demandée à l’enseignant·e (qui reste toutefois garant·e du cadre et des apprentissages) : « Il doit davantage se mettre en retrait pour donner l’impulsion et l’envie d’apprendre, pour stimuler les enfants à acquérir des démarches et leur donner des outils pour apprendre, dès la maternelle : Qu’est-ce-que je crois savoir ? Qu’est-ce-que je sais ? Quelle est la question que je me pose ? Où vais-je trouver des réponses ? »

Partir du quotidien et décloisonner

Inviter les enfants à se poser ces questions est une première approche de la démarche scientifique. Que l’on aurait bien tort de cantonner aux sciences. « Pour certain·es instituteurs et institutrices, la nature et l’environnement font encore partie des sciences, mais si l’on change son regard et que l’on décide de décloisonner et de partir du quotidien des enfants, on peut insérer de l’ErE partout », rappelle Dominique Willemsens, accom-pagnatrice pédagogique au Réseau IDée. D’autant que le nouveau référentiel invite à décloisonner les matières de façon transversale et interdisciplinaire (domaines 6 et 7 du document officiel).

Par exemple, le sable rapporté de la mer permettra d’aborder une série de domaines de connaissances et compétences : repérer le lieu de prélèvement sur la carte (géographie), faire des constructions dans le bac à sable (motricité, représentation dans l’espace), à partir des coquillages, découvrir les grandes branches du règne animal (biologie), tracer à la surface du sable les lettres ou les chiffres (représentation graphique), apporter différentes formes de coquillages et les dessiner (observation), les classer (logique), comparer à l’escargot (lien avec le milieu proche), etc.

Photo : Dimitri Crickillon

Photo : Dimitri Crickillon

Photo : Dimitri Crickillon

Photo : Dimitri Crickillon

Confiance des enfants

Amener les enfants à avoir confiance en eux est également très important. Par exemple, en classe, les laisser manipuler des outils ou un couteau pour cuisiner la collation leur permet de se rendre compte qu’ils et elles en sont capables. Pour développer cette confiance en eux, Anne Le Docte souligne l’importance « d’avoir des rituels, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur : chanter, faire de la relaxation, investir un lieu pour la collation, un autre pour écouter les animaux. » En effet, la ritualisation permettra de diminuer l’effet de rupture avec l’environnement connu et, ainsi, gagner en autonomie, objectif désormais au coeur des nouveaux référentiels : autonomie intellectuelle (traduire ses observations et ses questionnements, expliciter son avis, ses choix et ses actions), autonomie affective (bien-être et estime de soi, expression de ses émotions) et autonomie psychomotrice.

« C’est maintenant écrit noir sur blanc dans un document officiel », se réjouit Michèle Eloy. Et d’ajouter que « cette recherche d’autonomie implique de la régularité, du temps, car elle s’éveille sur la durée et la confiance mutuelle. Elle permet à chaque enfant d’évoluer à son rythme en cultivant l’estime de lui-même. »

Confiance dans le milieu

Peut-on faire de l’ErE n’importe où ? Oui, puisque c’est à l’environnement que l’on s’intéresse. Celui-ci peut être questionné, rencontré sous toutes ses coutures, des plus vertes aux plus urbaines, dedans et dehors. Les problématiques varieront, les angles d’approches aussi, mais ce qui restera au cœur des démarches, c’est le développement d’une relation avec ce milieu, d’un apprentissage de ses caractéristiques, d’un sentiment d’interdépendance avec celui-ci, et entre ce lieu et d’autres. Plusieurs des intervenantes soulignent la diversité des situations qui peuvent être investies. Laurence Jonkers témoigne : « Il ne faut pas spécialement être dans un espace vert pour faire de l’ErE. Aller voir une exposition sur une thématique environnementale, prendre le métro, pour certain·es c’est la première fois et c’est aussi un apprentissage du lien entre l’humain et son environnement. »

De même pour Sylvie Pirotte, qui identifie une série de portes d’entrée pour l’ErE à travers les environs de l’école : « L’institutrice ou l’instituteur peut par exemple amener les enfants à sortir dans la cour ou dans le quartier et les inviter à observer les formes qu’ils voient : le cylindre des poubelles de l’école, les lignes des murs ou la structure des bâtiments, afin de faire ensuite des mathématiques avec eux. Cela peut être aussi découvrir le monument sur la place toute proche et amener les enfants à se poser des questions : en quoi le monument est-il fait ? Cette démarche permet de décloisonner les matières en reprenant aussi bien l’histoire, les maths, la géographie, que la culture, en plus de l’expression langagière et artistique. »

C’est aussi dans les murs de l’école et de la classe que peuvent se construire ces moments de questionnements sur son environnement. Qu’est-ce que notre classe dit de notre lien à la nature ? Quelles sont les plantes (ou les animaux, mêmes microscopiques) qui s’y trouvent ? Comment une mouche verrait-elle notre classe ? Pourquoi y a-t-il des poubelles de différentes couleurs ? En quelles matière sont faites les fournitures (voir activité pédagogique p.23) ? Ainsi, proposer des temps d’ErE en maternelle, c’est aussi inviter les enfants à développer un autre regard sur leur environnement quotidien, partant de leurs représentations, et ancrer en eux une relation privilégiée avec celui-ci. 

Faire simple

« Bien sûr, faire de l’éducation relative à l’environnement, c’est accessible à tout le monde ! Même sans connaissance, on a plein d’outils pour nous aider. À partir du moment où on a envie de découvrir son environnement, il y a plein de portes d’entrée. Comme un enfant qui apprend à dessiner, au début, on a peur de la feuille blanche, de ne pas y arriver. Mais on peut dépasser cette crainte si on se dit que tout peut être dessiné avec des formes simples. Si on se trompe, ce n’est pas grave, on fait des erreurs et quand on se trompe, on réfléchit et on apprend », encourage Anne Le Docte.

(1) Le Référentiel des compétences initiales inaugure le nouveau tronc commun et porte sur les trois années du maternel. Ce référentiel, mis en œuvre depuis la rentrée 2020, cherche à soutenir le désir et le plaisir d’apprendre. Il veille à respecter le développement global de chaque élève et à contribuer aux conditions d’une transition harmonieuse vers l'enseignement primaire.

Photo : Christophe Dubois

Photo : Christophe Dubois

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