Pas si smart, nos phones
Pas si smart, nos phones
Mars 2025, par Sophie Lebrun
Un article du magazine Symbioses n°143 : Du clic au dé-clic
Quels matériaux et quels enjeux complexes se cachent derrière l’écran lisse de nos smartphones ? Et comment prolonger leur durée de vie ? Immersion dans une animation de l’asbl Repair Together, à l’athénée royal Jean Absil à Etterbeek.
Photo © Sophie Lebrun
Sur une armoire est scotché le schéma (vierge) d’un smartphone. Sur une table, cinq enveloppes, chacune contenant une question et une volée de fiches (textes et photos). Et sur une autre, des kits contenant un GSM hors d’usage, des outils et des instructions. L’animation que s’apprête à vivre la classe de 2e K de l'athénée Jean Absil sera tour à tour théorique, analytique et technique. Elle tournera autour de l’objet le plus commun de notre ère connectée, a fortiori chez les ados.
« Le smartphone est un outil central pour eux, ils y sont très attachés, voire dépendants. “Mon téléphone c’est ma liberté”, comme ils disent. Nous souhaitons leur faire découvrir ce qu’il y a derrière cet objet, les enjeux complexes qui y sont liés », explique Maxime Zoenen, professeur de sciences. « L’animation s’inscrit dans le cadre du cours de technologie, indique sa collègue Aurélie Moons, dans lequel nous essayons de leur donner une ouverture au monde, d’initier des réflexions sur le réchauffement climatique, sur nos modes de consommation, les ressources naturelles mobilisées, les déchets, etc. Et cela notamment au travers d’ateliers avec des intervenants extérieurs. »
Place, aujourd’hui, à l’asbl Repair Together (1). Objectif de l’activité : « prendre conscience que le smartphone est un objet précieux (pas qu’économiquement), et adopter des gestes responsables, notamment privilégier la réparation au nouvel achat », indique Sandy Van Meerbeeck, animatrice. En introduction, elle et son collègue Emmanuel van der Bruggen expliquent l’utilité et le fonctionnement des repair cafés, ainsi que les mécanismes de l’obsolescence programmée ; en ce compris l’obsolescence psychologique, créée par la publicité qui nous encourage à changer d’appareil régulièrement. « C’est intéressant d’identifier ces techniques, pour pouvoir y résister. »
Après quoi, les élèves vont disséquer – au propre comme au figuré – le smartphone.
Une mine de problèmes
L’opération ne sera pas simple, comme ils le découvrent d’abord en complétant, collectivement, le schéma de l’appareil. Celui-ci contient de nombreux matériaux. Du plastique, du verre, et surtout une cinquantaine de métaux (cobalt, lithium, cuivre, rhodium, tantale, or, silicium, néodyme, tungstène…), requis pour faire fonctionner cet organisme sophistiqué (batterie, condensateur, circuit imprimé, connecteur, caméra, micro, haut-parleur, vibreur et on en passe). L’écran, en apparence simple, est en réalité composé de trois couches intégrant divers métaux qui lui confèrent son caractère tactile, son affichage de qualité et sa résistance.
« Tous ces éléments, on doit aller les chercher dans la nature. Certains sont très rares », souligne l’animatrice. Un élève réagit : « Mais il n’en faut qu’une micro-quantité pour un smartphone, donc il ne pollue quasi pas ! » Pas si simple. « Il faut parfois extraire d'énormes quantités de roche et utiliser des processus de transformation très polluants et énergivores pour obtenir quelques grammes de métal. Sans compter qu’on fabrique beaucoup de smartphones : il y en a 10 milliards en circulation dans le monde. »
C’est cette (sur)exploitation minière que la classe va ensuite creuser.
Chaque groupe (3 ou 4 élèves) reçoit la fiche d’un métal, une série d’informations qu’il va devoir mettre en lien, et une question commençant par « Pourquoi, quand un nouveau smartphone est acheté dans le monde… ». Pourquoi « de jeunes enfants congolais ne sont pas sur les bancs de l’école ? » (fiche cobalt), « des milliers de Chinois s’exilent de leur village ? » (néodyme), « des conflits se perpétuent en RDC ? » (tantale), « la vie des flamants roses andins est menacée ? » (lithium), etc. Après analyse, chaque groupe expliquera aux autres quelques impacts sociaux, sanitaires ou environnementaux de l’exploitation dudit métal : conditions de travail dangereuses, travail des enfants, dissémination de substances toxiques (dans l’air, l’eau, le sol, les cultures), dommages irréversibles aux écosystèmes, etc. Quand la réflexion stagne dans une équipe, l’animateur ou l’animatrice la relance en posant une question. « Les chefs de guerre qui se battent pour contrôler les mines, que font-ils des revenus qu’ils en retirent ? »
« On apprend beaucoup, commente une élève qui se penche sur le sort du peuple yanomami. Je ne savais pas que l’extraction de l’or polluait fort l’environnement et provoquait des maladies graves, à cause du mercure utilisé dans le processus. »
« Chouchoutez votre GSM »
L'animation aborde ensuite les gestes à poser, à l’échelle individuelle, pour réduire ces impacts. Il s’agit d’utiliser le plus longtemps possible l’appareil (en en prenant soin, en évitant la surchauffe, en protégeant l’écran, en le réparant en cas de casse…), de le faire recycler après usage, et de privilégier un achat durable (Fairphone, appareil d’occasion reconditionné…) (2).
« Ce qui casse le plus vite, c’est l’écran et la batterie, et il y a souvent moyen de les remplacer. Ce n’est pas si compliqué, avec un bon tuto ou l’aide d’une personne compétente, et les outils adéquats », expliquent les animateurs. Les élèves vont d’ailleurs en avoir un aperçu, en ayant l’occasion, par deux, d’ouvrir un ancien smartphone – dont l’écran a été préalablement décollé –, d’en démonter certaines parties et de remonter le tout. Certain·es se sentent plus à l’aise que d’autres, dans cette opération qui requiert patience (bien suivre les instructions) et dextérité. « Démonter, observer tous les composants, c’est trop stylé ! », s’enthousiasme un élève. « On dirait qu’il a fait ça toute sa vie, acquiesce Aurélie Moons. C’est bien qu’il y ait cette phase de manipulation. » « J’ai rarement vu les élèves aussi intéressés par un sujet ! » conclut l’enseignante, au terme de l’animation.
(1) Cette asbl soutient les repair cafés et sensibilise et forme à la réparation. https://repairtogether.be/. L’animation décrite dans cet article est proposée (parmi d’autres) aux classes participant au projet "Un Repair Café dans mon école" (Bruxelles Environnement), ou à la demande. Infos : animation@repairtogether.be
(2) Voir aussi le guide "Comment conserver son smartphone plus longtemps" (ADEME, sept. 2024).
D’autres activités et outils pédagogiques mettent le focus sur le smartphone, ses impacts environnementaux et les gestes à adopter ; par exemple l’animation Le cycle de vie de mon GSM proposée par Goodplanet Belgium (classes de P3 à P6).
-> Rendez-vous aussi en pages 26-28 et 29-31 du magazine (téléchargeable ici)
A l’aide de textes informatifs, de photos et de pictogrammes « impacts », les élèves se plongent dans les conséquences de l’exploitation minière.
Photo © Sophie Lebrun