Animer des jeux en classe : lesquels et comment ?
Animer des jeux en classe : lesquels et comment ?
Décembre 2023, par Michel Van Langendonckt, formateur d'enseignant·es et coordinateur du diplôme en Sciences et Techniques du Jeu à la HE Bruxelles-Brabant, Président de LUDO asbl.
Un article du magazine Symbioses n°139 : Faites vos jeux
La ludopédagogie allie la pédagogie des jeux (entendus comme supports) à celle du jeu (entendu comme l’attitude ludique du meneur de jeu, faite d’humour, de créativité et de bienveillance). Accroche, cohésion, apprentissages, révision… : atteindre l’objectif choisi passe par une bonne gestion de l’avant - pendant - après jeu.
AVANT LE JEU :
D’abord, choisir la méthodologie et les jeux. On peut utiliser tel quel un jeu d’édition. Mais aussi, pour servir au mieux les thématiques et compétences visées, créer un jeu (1) en utilisant une mécanique ludique éprouvée (par exemple celles de jeux tels que Time’s Up, Dobble, Just One, Concept… ou d’un escape game) (lire aussi Jouer pour éduquer : c’est pas d’office gagné, les différentes approches du jeu).
Veiller au choix de la structure relationnelle : un jeu peut être compétitif, coopératif, collaboratif, associatif ou paradoxal (2) ; et se jouer en individuel ou en équipe – visible ou cachée.
Programmer et aménager l’espace en fonction des objectifs et jeux choisis. Pour jouer en groupe classe, par banc ou, mieux encore, en « ateliers » de 4 à 6 participant·es (avec un jeu par îlot). Une tournante d’un atelier à l'autre peut être organisée. Pour une même compétence et/ou thématique, proposer des jeux aux approches différentes ou de difficulté croissante permet la différenciation pédagogique (par ex., sur le thème des catégorisations animalières, Totem, Similo, Specific, Cardline puis Manimals).
Le tout en (se) rappelant la triple légitimé du jeu en classe :
- Psychologique : Jouer, c’est oser essayer, se tromper, réessayer, réussir, bref apprendre. Freud écrit : « Le jeu n’est pas le contraire du sérieux, mais de la réalité » (3), un état modifié de conscience qui nous pousse à oser davantage, à affronter des défis aux issues incertaines mais aux conséquences perçues comme moins graves que la réalité. On s’autorise cette parenthèse d’existence comme une école de vie : en jouant, on expérimente, on prend des risques, on revit des angoisses tout en ayant le droit à l’erreur.
- Empirique : Une méta-analyse canadienne (1784 études publiées entre 1998 et 2005 (4)) a prouvé l’efficacité du jeu en termes de motivation, socialisation, structuration de la pensée, mémorisation et résolution de problèmes.
- Scientifique : Depuis 2010, les neurosciences confirment l’intérêt des jeux pour le développement cognitif global. De simples jeux comme Salade de cafards, Bazar bizarre ou Panic lab présentent des défis croissants d’attention, de flexibilité mentale et d’inhibition (5).
PENDANT LE JEU
Choisir une posture d’accompagnement (6), en intervenant le moins possible pour laisser jouer le jeu, pour maintenir l'état modifié de conscience propre au jeu et mieux se centrer sur ses observations.
Soit l’enseignant·e donne à jouer (jeu aux règles simples) : il ou elle est en position d’observateur. Soit l’enseignant·e fait jouer : il ou elle anime toute la partie, sans trop l’interrompre pour distiller des contenus. Dans le cas d’ateliers, il ou elle explique une fois chaque jeu à tous, matériel à l’appui, puis nomme un·e garant·e des règles par table. Soit il ou elle joue avec… pour (se) révéler (à) ses élèves autrement.
APRES LE JEU :
Mener un débriefing (7), le moment pédagogique par excellence :
- Poser des questions pour encourager chacun·e à partager ses émotions (ex. : Comment t’es-tu senti pendant le jeu, et pourquoi ?), puis ses observations (Décris un moment qui t’a marqué·e) et ses stratégies (Qu’as-tu fait/qu’a fait ton équipe pour essayer de gagner ?).
Reformuler et compléter. - Terminer par un moment de synthèse théorique qui assure que tous les éléments principaux ont été évoqués et compris. On peut aussi partir de questions : Qu’as-tu appris ? Est-ce que cela te rappelle des choses déjà apprises ? Quelles qualités t’ont été utiles ? En outre, évoquer les transferts possibles (faire le lien avec d’autres contextes, avec d’autres disciplines…). Et, au-delà des contenus disciplinaires (8), identifier les nombreuses compétences transversales exercées dans chaque jeu (9) – une façon de travailler l’axe « apprendre à apprendre » du Pacte d’Excellence.
Mettre des mots sur son vécu aide à fixer ses acquis et enrichit ceux des autres.
On peut aussi intégrer une étape d’analyse du jeu : détecter, par exemple, quels stéréotypes il véhicule.
(1) Par exemple à l’aide des Mécanicartes qui proposent 17 mécanismes ludiques, ou du Ludovortex qui en propose 65 ; ou en se formant aux sciences et techniques du jeu (voir Adresses utiles). Lire aussi Adapter/créer des jeux ? Pas n’importe comment ! et la fiche d'activité Gare au loup.
(2) Cf. Glossaire sur www.ludovortex.games Dans un jeu paradoxal, le joueur a une attitude ambivalente, entre coopération et compétition (citons les jeux Galèrapagos et Poules renard vipères)
(3) La création littéraire et le rêve éveillé (1908).
(4) Sauvé L., Renaud L. & Gauvin M., Revue des Sciences de l’Education, Vol. 23, Québec, 2007.
(5) In : Samier R. & Jacques S., Le développement cognitif par le jeu, Paris, 2021.
(6) In : Sautot J. (s.d.), Jouer en classe, CRDP Grenoble, 2006.
(7) Mener un débriefing scolaire In: Keymeulen R. & Van Langendonckt M., Motivez les enfants par le jeu, de Boeck, 2018.
(8) Voir les fiches pédagogiques sur www.unjeudansmaclasse.com
(9) Cf. les cartes compétences du Ludovortex sur www.ludovortex.games
Photo : Diane Labombarbe in canva.com