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Education par la nature : pour tous, vraiment ?

Education par la nature : pour tous, vraiment ?

Education par la nature : pour tous, vraiment ?

Décembre 2022, par Christophe Dubois
Un article du magazine Symbioses n°136 : Dehors pour apprendre


Avons-nous toutes et tous accès à la nature, de façon équitable ? Et les activités d’éducation par la nature sont-elles adaptées à toutes les cultures ? 

 


C’est l’histoire de Jeanne, enseignante à Bruxelles, près de la gare du Nord. A distance de marche de l’école, il y a de grands boulevards embouteillés, un petit parc trop bruyant, des trottoirs défoncés.

Pratiquer l’école du dehors, elle aimerait bien. D’autant que ses élèves manquent cruellement de nature. Ils et elles vivent dans des appartements sans jardin et osent peu s’aventurer en territoire inconnu. Certes, Jeanne va parfois avec sa classe dans un potager collectif, en bordure du chemin de fer, mais les sols y sont pollués. Une fois par an, elle emmène ses élèves en transports en commun jusqu’à la forêt de Soignes. Mais c’est long. Et il faut s’équiper ; c’est cher, surtout pour des parents parmi les plus pauvres de la capitale.

L’histoire de Jeanne, plusieurs études scientifiques l’ont racontée. Chiffres et cartes à l’appui. Cette histoire, elle se vit à l’école, mais aussi en famille. Les recherches sur la justice environnementale montrent que, dans les grandes villes et leur périphérie, les habitant·es au faible niveau socio-économique et les minorités ethniques ont accès à moins d’espaces verts, à des parcs urbains plus petits, de moindre qualité, moins bien entretenus et moins sûrs que les résident·es plus privilégié·es.

C’est notamment le cas à Bruxelles (1).

Par ailleurs, une enquête menée à Barcelone indique que les écoles situées dans les quartiers les plus riches sont généralement plus vertes et organisent plus d'activités extérieures basées sur la nature que celles qui sont moins exposées à la nature urbaine (2). En résumé, à la fois chez lui et à l’école, l’enfant des villes issu·e d’une famille précarisée est souvent doublement coupé·e de la nature et des nombreux bienfaits qu’elle procure.

Et tant qu’à parler d’injustices environnementales, rappelons que plus on est pauvre, plus on est exposé·e à la pollution atmosphérique et intérieure, au bruit, à des conditions de logement et un cadre de vie difficiles et à des possibilités d'activité physique moindres (3). Donc plus on a besoin de nature et d’espaces extérieurs agréables.

Symbioses 136 dehors pour apprendre

Photo : Antonio Ponte / CC BY-NC-SA 2.0

Des pédagogies appropriées

Au-delà des constats, quelles solutions ? Aménager des espaces naturels de qualité dans et autour des écoles qui en sont privées en est une. C’est l’un des objectifs des appels à projets Opération Ré-création à Bruxelles et Ose le vert, recrée ta cour en Wallonie.

Mais il est aussi nécessaire d’aller plus loin, de rendre les déplacements faciles et gratuits vers de grands espaces verts, les animations accessibles financièrement, voire de subsidier les équipements des enfants.

Reste la question pédagogique. Les approches éducatives utilisées lors des sorties nature sont-elles adaptées aux plus pauvres et aux minorités ethniques ? Selon des recherches américaines (4), les personnes racisées (qui sont aussi les plus pauvres) sont marginalisées et moins écoutées que d’autres participant·es lors des stages nature analysés. Par ailleurs, le rapport à la nature et à l’environnement de ces populations serait différent : pour elles, l’environnement serait davantage perçu sous l’angle des inégalités environnementales et donc de droits à défendre. Il s’agirait dès lors pour les professionnel·les de l’éducation dehors, aux origines peu diverses et peu formé·es à l’interculturel, de partir davantage des représentations et des priorités de ces publics spécifiques, de construire les programmes éducatifs avec, par et pour eux.

Vu de Wallonie, Elise Jacobs, animatrice Environnement pour tous au Domaine de Mozet, nuance : « Dans mes animations, le rapport à la nature peut varier d’un individu à l’autre, mais je ne pense pas que ce soit forcément dû à son niveau socioéconomique. Par contre, avec des personnes en situation de vie compliquée, qui manquent de confiance, mes objectifs seront surtout de développer le bien-être, par une approche sensorielle et sensible, plutôt que de viser les connaissances par une approche cognitive. »

« J’invite à être prudent·e concernant les vertus soit-disant magiques de la nature : on s’y sentirait bien, elle serait apaisante et stimulante pour tous. Or, c’est en partie culturel, estime Christine Partoune, formatrice et autrice d’un ouvrage sur la pédagogie extramuros (5). Je prends pour exemple l’initiative d’un centre pour réfugiés qui a emmené de jeunes migrants en balade nature. Ça a d’abord été effrayant pour certains de ces jeunes, pour qui la forêt est peuplée d’animaux sauvages qui peuvent les dévorer. Ils n’avaient pas les codes. »

Elise Jacobs conclut : « Il faut dans un premier temps les rassurer. Le fait d’être en groupe et accompagnés les sécurise. Au final, les réfugiés me disent que ça leur fait énormément de bien. » 


(1) A. Phillips et al., 2022. Voir aussi le très intéressant dossier du magazine Médor, analysant les liens entre revenus, santé et environnement à Bruxelles (cartes, interviews d'experts…)
(2) F. Baro et al., 2020.
(3) G. Bolte et al., 2009.
(4) B. Johnson, de l’Université d’Arizona, intervention lors du WEEC 2022.
(5) C. Partoune et al., Dehors, j’apprends, éd. Edipro, 2020

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