En hiver, promenons-nous dans les bois
En hiver, promenons-nous dans les bois
Décembre 2022, par Sophie Lebrun
Un article du magazine Symbioses 133: Biodiversité, tous reliés
(Re)découverte de l’écosystème forestier, en compagnie de stagiaires guidé·es par des écopédagogues des Cercles des Naturalistes de Belgique.
A Vierves-sur-Viroin, le jour émerge difficilement de la brume, en ce petit matin de décembre, et il dévoile un décor d’arbres défeuillés, de vie tapie. L’Écosite des Cercles des Naturalistes de Belgique, lui, bruisse d’impatience. Jumelles, siège pliant, carnet et crayons dans le baluchon, une douzaine d’adultes papotent en attendant de sortir s’immerger dans la forêt en hiver. Dans le cadre de ce stage de cinq jours, ces amateurs et amatrices de nature (re)découvrent l’écosystème forestier, et la manière dont la faune et la flore s’adaptent à la saison froide. Aujourd'hui, focus sur les arbres.
Mais d’abord, Sébastien Lezaca-Rojas, l’écopédagogue qui les guide durant ce stage, propose un débriefing sur les balades de la veille. Hier, c’est surtout « une vieille souche » qui a fait mouche. Ce qui ressemble, de prime abord, à un débris pourrissant et inutile, s’avère, à bien y regarder, un véritable écosystème, où se côtoient des oiseaux, champignons, bac- téries, insectes, mammifères et végétaux. Cette cavité de bois mort leur offre tantôt le gîte, tantôt le couvert, un garde- manger ou un support. Des « cynorrhodons diversement grignotés » ont aussi titillé la curiosité des participant·es. Le dépouillement hivernal met à l’avant-plan des éléments de la nature qui, d’ordinaire, attirent moins l’attention. « En été, on est “bombardé”, le vivant explose de partout. En hiver, il est plus discret, on est attentif à d’autres choses, souligne une stagiaire venue nourrir son bagage d’animatrice nature. On s’attarde sur le lierre, par exemple, une plante méconnue mais utile pour divers animaux en hiver. »
« Passer du temps » avec l’arbre
Plongeons dans la forêt, à quelques pas du gîte. Une souche, des restes de nourriture, un arbre nu, une trace de mammifère, des excréments, des oiseaux seulement visibles chez nous en cette saison... : de nombreuses pistes s’offrent à l’animateur, pour évoquer la vie qui grouille dans une forêt, et les interactions qui s’y nouent à petite et grande échelle. « On dit “l’écosystème” forestier, mais en fait la forêt comporte 1000 écosystèmes », s'enthousiasme Sébastien Lezaca-Rojas. « On peut aussi aborder des questions plus philosophiques : au départ d’une souche ou d’un tronc tombé au sol, on peut questionner notre rapport au sauvage, à ce qui évolue librement, sans l’action humaine. »
Mais son leitmotiv, dans un tel stage, c’est d’apprendre à « prendre le temps ». Là-dessus, il désigne un grand chêne et invite les participant·es à s’asseoir, à le regarder, et à le dessiner, chacun·e à sa façon. « A passer du temps avec lui, à s’en imprégner, par l'observation soutenue. » Une approche tout sauf frontale, qui permet en outre d’apprécier, en comparant les croquis réalisés par les stagiaires, « la diversité de perceptions, d’un humain à l’autre ».
« Après ce temps d’observation, on fait la jonction avec des connaissances », prolonge l’écopédagogue. « Quels végétaux poussent ici et pourquoi ? », demande-t-il, amenant le lien entre la flore et le type de sous-sol, la géologie de la région.
Gare au changement climatique
Retour à notre chêne. « Un arbre a beaucoup à nous raconter. » Sa silhouette, par exemple, nous en dit pas mal sur son stade de développement et sur ses relations de voisinage (« celui-ci a un long mât sans branches puis “s’étale” au-dessus : signe qu’il a toujours poussé entouré d’autres arbres ? », suggère un participant). Sur ses relations avec l’humain aussi : en observant notamment si l’arbre, et plus largement la forêt, ont été taillés, cultivés. C’est là un autre fil conducteur de la balade : « L’homme fait partie de l’écosystème forestier. Il interagit avec les autres êtres vivants ».
Sébastien Lezaca-Rojas prend le temps de raconter le cycle annuel de l’arbre aux stagiaires. La manière dont il s’adapte à l’hiver, dont il fait ses « réserves » en été et se met en état de « dormance » dès l’automne, etc. L’arbre, bien plus que l’être humain, dépend des saisons. « Son cycle (dormance, réveil, reproduction...) est lié, entre autres, à la température extérieure. Le changement climatique perturbe cela. » « Le cycle et la longue vie de l’arbre sont de beaux thèmes à aborder en balade, glisse une stagiaire, institutrice retraitée et guide-nature. On a une vision trop anthropocentrique – très eurocentriste même – de la nature. On croit que tout fonctionne au rythme et à l’échelle de la vie humaine. »
Ces thèmes alimenteront, sans doute, le prochain débriefing ou des échanges plus informels en soirée. En attendant, au bord du chemin, ce sont des nèfles (blettes, donc à point pour être consommées) qui titillent la curiosité des stagiaires. Mais le groupe prendra soin d’en laisser aux habitants des bois.
Infos : www.cercles-naturalistes.be
Photo : Sophie Lebrun