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Article Symbioses

Une Forest School universitaire

Une Forest School universitaire

Une Forest School universitaire

Décembre 2022, par Duncan Reavey, Professeur d’éducation à l’environnement à l’Université de Chichester, au Royaume-Uni (traduit par Christophe Dubois, avec l’aide de www.deepl.com)
Un article du magazine Symbioses n°136 : Dehors pour apprendre


A l’Université de Chichester, en Angleterre, Duncan Reavey donne cours en forêt à des étudiant·es en sciences de l’éducation, en arts ou encore en tourisme. Par une pédagogie qui donne l'espace, le temps et la permission d'être soi-même. Témoignage.

 


Je cours toujours.
Je cours vers la vie, vers les arbres qui m’appellent
Vers les feuilles qui chantent, vers la texture de l’écorce
Vers l’endroit où je peux être.
J’ai toujours su que je pouvais.
Je pouvais vivre une vie dans un monde plein d’amour
Où les arbres vous laissent entrer
Et où je peux m’écouler depuis l’intérieur.

C’est une partie d’un poème écrit par Frances, une étudiante de dernière année d’université, incroyablement compétente. Non seulement elle a mis ses pensées en mots, mais elle s’est aussi filmée récitant son poème, quelque chose que Frances n’avait jamais osé faire auparavant, car elle est également profondément autiste.

D’une certaine manière, la forêt est devenue un endroit particulier et bénéfique pour Frances, comme pour environ 1800 étudiant·es de premier cycle ces dix dernières années. J’utilise l’approche de la « Forest School » pour des étudiant·es de premier cycle en outdoor education (éducation dehors, en français), en sciences de l’école primaire, en études de l’enfance, en gestion touristique, en écriture créative et en théâtre. 

Des apprentissages intégrés

Dans les écoles primaires britanniques, l’école en forêt est fréquente et comporte de nombreux avantages bien documentés. Mais pour l’enseignement universitaire, il s’agit d’une nouvelle approche. À Chichester, je l’ai développée en m’inspirant en partie de la littérature sur la pédagogie du lieu, la géographie émotionnelle, la pleine conscience et l’apprentissage centré sur l’étudiant.

Dans le cadre de mes cours universitaires, les étudiants passent un jour par semaine, pendant une période allant jusqu’à dix semaines, dans le même coin de forêt. Pendant une grande partie du temps, les élèves initient l’apprentissage, jouent et ralentissent (enfin !). 

Bien sûr, je dois couvrir le contenu conventionnel de la formation. Selon le cours, il peut s’agir, par exemple, de la géologie locale, de la forêt comme source d’inspiration pour l’écriture créative ou la danse, de l’évolution de la forêt au fil de l’histoire ou des thèmes liés au développement durable.

Mais en même temps, les étudiants acquièrent également une compréhension et une appréciation personnelles profondes du lieu. Par exemple, c’est un endroit où l’on peut chercher des plantes sauvages comestibles, un endroit où les fées ont vécu (et vivent encore ?), un endroit où les gens peuvent prendre conscience de leurs émotions, et un endroit en perpétuel changement.

Tout cela s’intègre parfaitement. Par exemple, les étudiants vont travailler ensemble autour d’un feu de camp pour fabriquer de l’encre à partir de galles de chêne. Il s’agit de la même encre que celle utilisée par William Shakespeare. Ils peuvent ensuite faire l’expérience du « bain de forêt » en passant 30 minutes seuls dans différentes parties du bois. Ils et elles utiliseront ensuite l’encre fabriquée pour écrire des mots ou créer des images afin d’exprimer les sentiments éprouvés lors de cette expérience. Les élèves comprendront ainsi l’histoire et la science de l’encre, affineront leur écriture, ressentiront et étudieront les bienfaits de l’air de la forêt.

Symbioses 136 Dehors pour apprendre

Une découverte de soi et de l’environnement

Je constate également un autre résultat : un véritable attachement émotionnel de chaque jeune à cette forêt. Les déclarations de nos étudiantes universitaires le confirment : « C’est juste moi et les arbres, cela me donne un sentiment de sécurité et de compréhension que je ne peux pas avoir dans une salle de classe... », raconte Naz. « Il s’agissait aussi d’apprendre qui nous étions... J’ai découvert plus de choses sur moi-même en 6 semaines que pendant les 30 années précédentes », écrit Jem. Tout cela conduit à un changement de comportement.

Nous avons de nombreuses preuves de cela dans les travaux que les étudiants soumettent pour les évaluations formelles de leurs cours. Les thèmes qui les intéressent doivent être explorés dans un journal de réflexion personnel. La note que nous attribuons à ce journal contribue à l’obtention du diplôme universitaire final de premier cycle. Selon quels critères ? Il n’est pas toujours facile d’attribuer une note mais, quelle que soit la méthode choisie par l’étudiant, il doit faire preuve de réflexion critique. Nous l’encourageons également à prendre des risques dans l’apprentissage, à apporter de nouvelles perspectives. 

Symbioses 136 Dehors pour apprendre

Cela transforme les enseignants

Les forêts peuvent-elles parler d’elles-mêmes ? Peut-être, mais elles sont beaucoup plus éloquentes avec un interprètefacilitateur-compagnon-écoutant-donneur de permissions.

C’est mon travail. Je donne l’espace, le temps et la permission pour que l’émotion se produise. Ce n’est pas seulement un lieu !

Pour reprendre les mots de Tom, étudiant, « l’enseignant est un mentor, un guide, un ami. Il incarne l’encouragement, l’amour et l’unité avec la forêt, le monde et les autres. L’éducation à l’environnement, c’est la vie. Elle ne devrait pas être expliquée ou définie, mais être vécue par chacun ».

Le même attachement émotionnel au lieu impacte les approches pédagogiques et nous change nous, enseignants universitaires. Ces changements prennent beaucoup de temps, plusieurs années au moins. Dans la forêt, les éducateurs parlent moins, sont plus silencieux, écoutent davantage, font confiance à leurs élèves, sont heureux de s’écarter du plan, permettent aux élèves de jouer, posent plus de questions, demandent de réfléchir davantage (pas seulement en utilisant des mots), ralentissent et sont plus audacieux. Ils ont une nouvelle motivation pour enseigner et ont hâte d’aller travailler ! Et lorsque ces enseignants retournent le lendemain à l’intérieur d’une classe, ils font de même : ils donnent à leurs élèves l’espace, le temps et la permission d’être eux-mêmes.

Je voudrais terminer par la dernière partie d’un texte émouvant de Megan, une autre étudiante de premier cycle, qui réfléchit à la signification du portail menant aux bois où se déroule notre Forest School : « En grandissant, nous oublions de jouer. Nous oublions de faire semblant. Nous oublions d’imaginer. Les gens peuvent lire ceci et penser que c’est idiot, mais en franchissant cette petite porte en bois, le monde extérieur disparaît et je suis entourée d’arbres qui parlent, de lutins et de fées. Au milieu de nos vies, nous devons tous trouver la magie qui fait s’envoler nos âmes.

Et je sais que la porte d’entrée de ce sanctuaire se trouve à l’intérieur de moi. » 

Symbioses 136 Dehors pour apprendre

Vous aussi, vous souhaitez penser et pratiquer l’école du dehors dans l’enseignement supérieur ? Visitez la Forest School de Duncan Reavey, ou échangez avec lui : d.reavey@chi.ac.uk

 

Symbioses 136 Dehors pour apprendre
Symbioses 136 Dehors pour apprendre
Symbioses 136 Dehors pour apprendre

Le dehors dans le supérieur pédagogique

L’outdoor education s’est implantée dans de nombreux pays, notamment dans les cursus universitaires. Mais qu’en est-il chez nous ?

En Belgique francophone, les hautes écoles pédagogiques et les universités sont libres de définir le programme qu’elles souhaitent mettre en place pour la formation initiale des futur·es enseignant·es. Aucune obligation, donc, de former à l’école du dehors. Néanmoins, certains établissements s’y sont lancés, comme l’Henallux à Namur, l’Helmo en province de Liège et Léonard de Vinci à Bruxelles (1).

L’Helmo pratique le dehors depuis plusieurs années en proposant aux futur·es institutrices et instituteurs des activités interdisciplinaires d’éducation à l’environnement. Le but étant de développer leur sensibilité pour qu’ils et elles se sentent « vivants au milieu des vivants ».

À l’Henallux Namur, le module interdisciplinaire « OUST », pour « Osons Une Sortie Trépidante », sert de fil conducteur tout au long de la 2e année de formation des enseignant·es de préscolaire, incluant un séjour résidentiel, l’expérimentation d’activités en nature mais aussi en ville ainsi qu’une obligation de faire des sorties durant les stages.

Enfin, du côté de la Haute École Léonard de Vinci, l’outdoor education est devenue un axe important, tant au niveau de la recherche que de l’enseignement. Les professeur·es impliqué·es estiment que la reconnexion avec son environnement local est une des priorités sociétales que l’école doit pouvoir transmettre. Comme Henallux, Vinci va formaliser ces modules consacrés à l’éducation dehors en unités d’enseignement (UE) spécifiques dans le cadre de la réforme de la formation initiale des enseignant·es.

Malgré ces initiatives au sein de quelques hautes écoles, Christine Partoune (2) regrette que la pratique du dehors reste encore marginale chez les jeunes enseignant·es, celles et ceux-ci devant d’abord prouver leur maîtrise d’une classe avant d’amener des innovations.

Il existe par ailleurs de nombreuses formations reconnues dans le cadre de la formation continue des enseignant·es, permettant de se former à l’école du dehors ou à l’éducation par la nature (voir article p.34 et adresses utiles pp.44-45).

Corentin Crutzen


(1) Outdoor Education : questions à Sébastien Bar
(2) Docteure en géographie, enseignante retraitée de l’Helmo et auteure du livre Dehors, j’apprends.

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