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Article Symbioses

Formons-nous dans les bois

Formons-nous dans les bois

Formons-nous dans les bois

Décembre 2022, par Sophie Lebrun
Un article du magazine Symbioses n°136 : Dehors pour apprendre


Des formations aident les professionnel·les de l’éducation à s’outiller pédagogiquement pour pratiquer l’école du dehors. Exemple en région liégeoise avec l’association Education Environnement.

 


Le village de Rotheux, en région liégeoise, un mercredi après-midi. Quinze adultes s’apprêtent à partir en forêt, enseignant·es pour la plupart, ou (futur·es) animateurs et animatrices travaillant avec des publics scolaires. Ils participent à une formation de trois jours organisée par l’asbl Education Environnement/CRIE de Liège (1). Elle les aide à initier ou à étoffer leur pratique de l’école du dehors (lire La classe au parc, ça déménage et Dehors en secondaire, ça le fait !) ou d’autres sorties en nature avec des enfants.

Les participant·es ont précisé leurs attentes au préalable. « La plupart souhaitent surtout découvrir une palette d’activités en lien avec les objectifs scolaires, mais aussi échanger avec d’autres professionnel·les et glaner des conseils pratiques (choix du lieu, matériel…) », indiquent Christophe Visse et Stéphanie D’Andreamatteo, leurs formateur et formatrice – qui accompagnent aussi des classes en nature. Autres attentes exprimées : « mieux exploiter, en classe, les découvertes faites en nature », « reconnecter à la nature des enfants qui vivent en milieu urbain et précarisé », « enrichir mes connaissances sur la nature », « utiliser l’environnement de la cour et du quartier »…

Le chariot de l’équipe formatrice déborde d’objets : cônes d'orientation, bâches, couteaux, crayons, corde, huile et farine, consignes, schémas… Cela dit, comme le groupe l’a déjà expérimenté lors de la première journée à Fayenbois, c’est l’environnement lui-même qui fournit l’essentiel du matériel pour les activités : feuilles, fruits, terre, paysages, façades, monuments, ombres, cailloux, plantes sauvages, branches... 

Symbioses 136 Dehors pour apprendre

Photo : Sophie Lebrun

Faire feu de tout bois

A propos de branche, « Tout le monde a son bâton ? Souvenezvous, il a plusieurs fonctions. » Il dynamise la marche à pied, il ritualise l’école du dehors (chacun·e amène, à chaque sortie, son bout de bois qu’il ou elle a déniché et décoré), et il est utile à une kyrielle d’apprentissages. Avec des bâtons, on peut former des figures géométriques et des mots, calculer un périmètre, réaliser des mimes, ou encore jouer au mikado géant, « une activité où l’on travaille l’observation et la gestion spatiale », précise Christophe Visse.

Les branches qui parsèment la forêt vont aussi s’avérer utiles pour accomplir le premier défi du jour. Chaque groupe a dix minutes pour reconstituer un squelette humain, le plus fidèlement possible, au moyen d’éléments de la nature. Les questions et commentaires fusent : « On peut aussi utiliser des éléments non naturels, comme ce bout de pelle ? », « On est trop schématique, on a oublié les clavicules et les mâchoires », « Si les élèves n'ont pas de notions d’anatomie, ils peuvent palper leur propre corps pour sentir leurs os »…

Chaque activité est suivie d’un débriefing. Les participant·es discutent des liens avec les programmes scolaires et proposent des prolongements à réaliser en classe, ainsi que des adaptations possibles, selon l’âge des élèves, le contexte, etc. « Il n’y a pas qu’une façon de faire », souligne Christophe Visse (lire plus bas).

Echange de tuyaux

Le défi suivant consiste à repérer et photographier des lettres de l’alphabet formées par un ou des éléments naturels – et ensuite former le mot le plus long. Les participant·es passent la forêt au peigne fin : un lichen en forme de B, le pli d’une écorce dessinant un V, deux branches évoquant un A... Pauline Laloux, institutrice primaire, imagine déjà la suite : « J’imprime les photos, les élèves repassent les lettres au marqueur, et on réalise des mots-outils. »

Dans une clairière, chaque groupe doit ensuite retrouver une plante précise, sur base de consignes qui font appel non pas à des connaissances en botanique, mais à des outils universels : la vue, le toucher et l’odorat.

Chemin faisant, des enseignant·es discutent des bienfaits et des limites de l’école du dehors, et échangent des trucs et astuces, notamment pour braver le froid : chocolat chaud, chaufferettes dans les gants, activités dynamiques… « En sachant que les enfants sont moins dérangés par le froid, la pluie et la gadoue que les adultes », témoigne Catherine Piette, institutrice maternelle.

« On apprend les uns des autres, au cours de la formation, souligne Stéphanie D’Andreamatteo. Certains, déjà expérimentés, montrent que l’école du dehors, c’est faisable ». Cela dit, il y a des gestes plus faciles à dire qu’à faire : les participant·es sont visiblement heureux·ses d’apprendre à tendre une bâche en deux nœuds trois mouvements, ou à lancer un feu, avec ou sans allumette. 

A chacun·e son école du dehors

« Un des plus gros freins à la pratique de l’école du dehors, c’est l’impression de devoir coller à un modèle. Comme si l’école du dehors devait nécessairement prendre place dans une grande forêt, autour d’un feu, avec un enseignant qui s’y connaît à fond en nature, etc. », observent Christophe Visse et Stéphanie D’Andreamatteo. Aussi tordent-ils le cou à cette croyance dès le début de la formation Tous dehors !, par le biais de quelques activités.

En version « cadavre exquis », chacun·e décrit – ou imagine – ses sorties avec sa classe, en termes d’objectifs, de lieu, de fréquence et de durée, de types d'activités... De quoi faire apparaître, lors de la mise en commun, que l’école du dehors peut se décliner de bien des manières, que c’est « à chacun de  trouver ce qui, pour lui, est motivant et réalisable. Par contre, on insiste sur le fait qu’il doit y avoir une récurrence au fil de l’année (minimum une sortie d’une demi-journée ou d’une journée par mois) et des intentions pédagogiques définies (qu’il s’agisse d’apprentissages, liés aux maths par exemple, ou d’objectifs de type connexion à la nature) ».

Une autre activité réveille la créativité : chacun·e choisit d’abord un élément de la nature (marron, feuille…), lui donne un nom imaginaire et le décrit en trois mots, selon sa couleur, sa forme et sa texture. Ensuite, par équipe, en 10 minutes, on imagine, au départ des éléments, un maximum d’activités à réaliser avec un groupe (selon différentes approches et disciplines). Ce défi aide à prendre conscience qu’il n’est nul besoin d’être expert·e en nature et que travailler à plusieurs peut être un solide levier. Mais aussi qu’on ne doit pas tout inventer : on peut s’inspirer d’activités et de jeux connus, que l’on transfère au contexte du dehors.

Bricolage et cuisine sauvage sur le feu

Il reste un peu de temps pour tester un mini-parcours d’orientation guidé par différents codes, construire une balance avec les moyens du bord, fabriquer des fusains à l’aide de branches dûment taillées et carbonisées, ou tester deux recettes de cuisine sauvage (« Quitte à faire du feu, autant l’utiliser ! »).

Des beignets de feuilles de consoude et des chips d’ortie agrémentent ainsi le débriefing final. La journée a inspiré des idées d’activités. « C’est intéressant, plusieurs d’entre elles font place à l’interdisciplinarité (sciences et art, psychomotricité et maths…) », pointe Christophe Visse.

« On essaie d’amener des moments de réflexion où on décortique un peu les choses. On ne veut pas juste ouvrir une boîte à idées, nous explique-t-il. Mais ce n’est pas toujours évident, car un certain nombre d’enseignants veulent avant tout vivre un maximum d’activités. »

Le dernier rendez-vous est fixé, dix jours plus tard, dans une école, « pour découvrir comment exploiter une cour et les éléments du bâti ». D’ici là, chacun·e est invité·e à tester une activité avec sa classe, et à noter les atouts et difficultés rencontrées. 

Symbioses 136 Dehors pour apprendre

Photo : Sophie Lebrun

Bon à savoir :
D’autres organismes proposent des formations continues en école du dehors et éducation par la nature.
Retrouvez-les dans les Adresses utiles, pp. 44-45. 


(1) Cette formation Tous dehors ! est proposée soit directement par l’asbl (qui l’organise aussi à la demande), soit via les organes de formation continue des enseignants. Info : www.education-environnement.be/formation

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