« La forêt est un terrain d’apprentissages multiples »
« La forêt est un terrain d’apprentissages multiples »
3è trimestre 2019, propos recueillis par Christophe Dubois
Un article du magazine Symbioses n°123 : Apprends-moi l'arbre
Quels sont les fruits éducatifs de l’arbre ? Et les approches pédagogiques pour les cueillir au mieux ? Réponses de Christian Dave, coordinateur du CRIE du Fourneau Saint-Michel, tombé tout petit dans la marmite forestière. Il réagit à nos mots-clés.
Photo ©Céline Teret
Temps
« Lors d’animations en forêt, la lenteur s’impose d’elle-même, un autre rythme s’installe spontanément. C’est une clé d’apprentissage essentielle : s’imprégner du temps forestier et le comparer au temps humain. Se rendre compte qu’un arbre peut traverser au moins six générations d’êtres humains. C’est aussi un espace réduit, à courte vue. Quand on rentre dans une forêt, on rentre dans un cocon.
Un garde forestier me disait que son métier était “d’écouter pousser les arbres”. Toute sa carrière, il voyait des arbres immobiles. Il n’en verrait pas la fin, et pour beaucoup n’en avait même pas vu le début. Son métier était de prendre soin de ce patrimoine pour les générations futures. »
Apprentissages
« La forêt est un terrain d’apprentissages multiples, au delà des classiques de la sylviculture. C’est un terrain parfois dur, humide, froid. Dès lors, cela va développer les savoir-être, la dynamique de groupe, la solidarité, la collaboration, la concentration.
La forêt, c’est aussi une immersion dans la diversité. Une diversité concrète d’espèces et de sensations.
Autre apprentissage : le cycle de l’eau. Il commence en forêt. Un arbre pompe 200 litres d’eau par jour et en transpire 150 litres. On peut faire des maths en calculant combien de litres cela représente pour un bois d’un hectare. L’ambiance forestière, c’est un brumisateur perpétuel, avec des îlots de fraicheur.
C’est aussi un terrain d’expression corporelle : on peut grimper, jouer avec des bois… La forêt est un réservoir inépuisable de matières, permettant d’exprimer et d’apprendre par le corps et l’esprit. Car tout y est source de manipulations : on peut peser un tas de feuilles de 1kg et mesurer son volume, puis le comparer à 1kg de bois, écrire l’histoire de son arbre, chercher les traces de vie, compter les différentes espèces… »
Emotions
« Anecdote : j’adore randonner en France. J’y vois des forêts magnifiques. J’ai également été émerveillé par les arbres accrochés au temple d’Angkor (Cambodge). Mais rien ne vaut la forêt près de chez moi, en Famenne-Ardenne, car elle, je la connais dans ses moindres recoins, j’y ai mon arbre fétiche auprès duquel j’aime me ressourcer. J’y ai vécu tant de choses, depuis mon enfance. Ce qui donne l’émotion, ce sont nos racines. Faire ressentir ça à quelqu’un est difficile. Mais on essaie, notamment avec l’école du dehors, en retournant chaque fois dans le même coin de forêt. On dit aux élèves : “C’est votre petit coin”. Ils se l’aménagent. C’est cela qui fait l’attachement et le respect. »
Dangers
« Il n’y a objectivement aucun danger, à part peut-être les tiques. Les animaux s’enfuient lorsqu’ils sentent ou entendent la présence des humains. En tant qu’animateur ou animatrice, il faut néanmoins toujours rassurer et assurer un confort suffisant : rappeler que la forêt est un lieu de protection et de refuge, choisir des parcours variés et non excessifs, prévoir des vêtements adaptés, etc.
Pour beaucoup, se balader la nuit en forêt génère de la peur. Moi, au contraire, j’adore, surtout lors de la pleine lune ! C’est magique, une émotion pure. Nous emmenons parfois des groupes d’adolescent·es en bivouac en forêt. Au début, ils sont bien groupés, puis lors de la balade, on leur demande de s’écarter à 30m l’un·e de l’autre et de s’asseoir au pied d’un arbre, en lisière, en pleine nuit. Ils perçoivent juste les lumières du village, au loin, et ils écoutent. Cela permet à chacun·e de se recentrer sur ses sensations, ses pensées, sa vie. Emotions. »
Valeurs
« Les leçons de vie des arbres sont énormes. Un arbre, c’est un individu qui participe au collectif que représente la forêt. La forêt invite également à l’effort et à la patience. A la puissance et à la discrétion aussi : un arbre produit énormément, mais sans que cela ne se voie facilement ou ne s’entende. Ce sont enfin des milliers de plantes qui naissent et qui meurent, et nous questionnent alors sur la vie et la mort. »