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Article Symbioses

Question d’équilibre

Question d’équilibre

Question d’équilibre

Décembre 2022, propos recueillis par Sophie Lebrun 
Un article du magazine Symbioses 133: Biodiversité, tous reliés


Comment aborder les interrelations au sein du vivant en animation ? Gilles Pirard, formateur chez Education Environnement / CRIE de Liège, livre quelques idées-clés.


Équilibres mouvants

« Sur le thème des interrelations, j’aime mettre l’accent sur la notion d’équilibre mouvant, dynamique. En animation, on invite les participants à créer un système nourri d’interrelations entre espèces, un tissu du vivant. Ensuite on s’interroge : que se passe- t-il si on coupe les liens ? Il y a vingt ans, on répondait : le système s’effondre. Aujourd’hui, on dit plutôt que les équilibres se déplacent ou se recréent, et la question intéressante, c’est : jusqu’à quel point peuvent-ils le faire ? La perspective change, on est moins dans un positionnement où l’humain est soit le méchant/destructeur, soit le gentil/naturaliste/conservateur. On admet que l’humain n’est pas la seule solution, que plein d’équilibres se recréent sans lui. Tout en sachant qu’il est à la base de nombreux déséquilibres. »

Diversité des flux

« En formation sur la biodiversité, en réserve naturelle, on envoie les participants recenser un maximum d’espèces vivant sur une petite zone, qu’ils rassemblent (ou dessinent) sur un drap. Ils recréent ensuite, avec des ficelles, le plus d’interrelations possible unissant ces espèces. Ils doivent nommer ces liens, pour prendre conscience de la diversité des flux. Les liens répondent à divers besoins : nourriture, protection (par exemple une plante qui, pour se défendre contre une espèce, fait appel à une autre espèce (1)), transport (un oiseau qui mange des graines va les disséminer), support (un arbre sur lequel pousse une liane)... Et encore, nous, humains, ne percevons pas tout, notamment dans la communication chimique entre espèces. »

P)réserv(é)e mais pas sous cloche

« On demande aussi aux participants d’expliquer les liens entre la réserve naturelle et l’extérieur. Celle-ci n’est pas sous cloche, elle n’est pas figée ni fermée. Pourtant, le premier lien qui émerge, souvent, c’est de la culpabilité, l’idée que l’humain perturbe la réserve (par le piétinement d’espèces, le bruit, les routes). Ensuite, vient l’idée qu’elle est une zone relais pour diverses espèces. Et après, seulement, le fait qu’elle constitue un génial réservoir qui dissémine, ailleurs, des espèces, de la biodiversité. On débat aussi sur la place de l’homme. Il ne doit pas être séparé de la “nature”, il fait partie du vivant. Il n’a pas qu’un rôle négatif. Une réserve, d’ailleurs, résulte de choix humains. Par exemple, le choix d’y faire pâturer des animaux sur une partie, pour restaurer un milieu ouvert et favoriser des espèces menacées. »

Maillage vert

« Nous proposons, au public scolaire ou en formation, un jeu pour découvrir la notion de maillage écologique : les réseaux de zones refuges dont les espèces sauvages ont besoin pour se déplacer et vivre. A la fin du jeu, on en arrive à la conclusion qu’il faut multiplier les zones vertes, petites et grandes. Lesquelles ? Très souvent, les enfants citent d’abord les forêts – très présentes dans l’imaginaire collectif. On peut en évoquer d’autres : un terril, par exemple, constitue aussi une zone verte riche en biodiversité. Ou un parc urbain géré favorablement. Par ailleurs, les “petits” gestes sont importants pour créer un maillage : installer une mare dans un jardin, laisser un tas de feuilles mortes, placer quelques plantes sur un balcon, etc. »

(S’)émerveiller

« Les végétaux nous paraissent moins “sexy” que les animaux : il est plus difficile de se projeter sur ces êtres qui ne nous ressemblent pas, qui nous semblent silencieux et statiques. Or, il y a énormément à raconter sur la magie et l’intelligence des plantes. Non, elles ne sont pas fragiles, passives, à la solde des animaux et incapables de communiquer! (2) Prenez la Capselle bourse-à-pasteur, une plante qu’on a tous côtoyée sans la regarder, et sans savoir que ses graines sont... carnivores. Pour germer, elles ont besoin d’éléments du sol. Au contact de l’eau, elles se recouvrent d’une substance toxique qui attire et piège des micro-organismes du sol, qu’elles digèrent ensuite grâce à une enzyme. Génial ! La liane sud-américaine Bocilia trifoliolata, elle, se camoufle en modifiant la forme et la couleur de ses feuilles pour ressembler à l’arbre sur lequel elle pousse !

La plus grande porte d’entrée, pour la majorité du public, c’est de s’émerveiller. A nous de transmettre notre émerveillement, de ne pas faire que du technique, du complexe. (3) »


(1) Telle la Vesce des haies : les glandes à nectar situées sur ses feuilles attirent – et nourrissent – les fourmis, qui la défendent contre certains herbivores (chenilles...).
(2) Gilles Pirard donne des conférences sur ce sujet.
(3) Dans cet esprit, l’équipe formation d’Education Environnement observe et nous raconte, au fil d’une année, sur sa page Facebook, « tout ce qui vit et ce qui se passe » dans un petit bout de terrain (2m2) délimité près de ses bureaux. Info : www.education-environnement.be

 

Symbioses 133 Biodiversité

Photos : Sophie Lebrun

Symbioses 133 Biodiversité

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