Se ressourcer et recréer du lien
Se ressourcer et recréer du lien
Décembre 2022, par Sophie Lebrun
Un article du magazine Symbioses n°136 : Dehors pour apprendre
Les Ateliers nature, animés par le CRIE de Saint-Hubert, s’adressent à des adultes en parcours d’insertion sociale. Des journées en forêt pour réapprendre à sortir, tisser des liens avec l’environnement, participer à des activités de groupe et améliorer sa confiance en soi.
Un parfum de cannelle flotte dans le hall du Centre régional d’initiation à l’environnement (CRIE) de Saint-Hubert, au cœur de la forêt ardennaise. « Je vous sers un jus de pommes chaud ? Un café ? » Olivier Embise, animateur, accueille chaleureusement le groupe participant à l’Atelier nature d’octobre. Il s’assure que tout le monde est bien équipé pour passer une journée dans les bois. « Avez-vous besoin d’une veste polaire, de gants, d’un tour de cou ou de bottes ? »
Le groupe est composé de Marjorie (24 ans), Mireille (39 ans) et Sabine (57 ans), bénéficiaires d’une aide du CPAS, et de Laurie, leur accompagnatrice du service d’insertion sociale de DEFITS, partenaire du projet (1). « On aurait dû être sept, explique-t-elle, mais plusieurs personnes sont malades, et la récente crise Covid n’aide pas, s’agissant de réapprendre à sortir. »
Bien-être à tous niveaux
Car quitter son chez-soi, vivre une journée en forêt, et en groupe, qui plus est, peuvent être autant de défis pour les personnes ciblées par ces Ateliers nature mensuels (lire 'Reprendre pied' ci-dessous). « Beaucoup se sont pris plein de claques dans leur parcours de vie », souligne Olivier Embise. « C’est souvent – mais pas toujours – un public peu connecté à la nature », ajoute-t-il. « Certaines personnes sont ravies de venir, d’autres se demandent un peu ce qu’elles font là, au début. Les attentes sont parfois très différentes au sein d’un groupe. »
L’animateur y va donc en douceur. « L’objectif est la reconnexion à la nature, et cela passe par le bien-être : se sentir bien, se sentir bien dans le groupe, et se sentir bien dans l’environnement ». L’atelier privilégie les activités de savoir-faire et la découverte par l’émerveillement. « On essaie de donner envie à ces personnes de sortir dans la nature près de chez elles (on est dans une région remplie de chouettes endroits !). En leur proposant des activités qu’elles pourront reproduire avec leurs proches. »
Photo : Sophie Lebrun
Forêt enchanteresse
Marjorie, Mireille et Sabine participent pour la première fois à l’Atelier nature, mais semblent enthousiastes. « On va prendre le temps, leur explique Olivier Embise. On va découvrir plusieurs endroits, cuisiner et fabriquer des choses. On marchera moins de 2 kilomètres au total. » Arrivées en forêt, les participantes se lancent, spontanément, des défis à elles-mêmes : gravir cette pente raide et boueuse pour l’une, « moins fumer et ne pas couper tout le temps la parole » pour une autre.
L’animateur s'arrête régulièrement pour révéler quelques trésors de la nature. Non pas en débitant des connaissances pointues, mais en suscitant la discussion, la curiosité et le sens de l’observation des participantes. Le groupe (re)découvre ainsi la vie qui grouille dans une cuillère à café de terre forestière (« Elle contient plus d'organismes vivants qu’il y a d’êtres humains sur la Terre ! »), cette formidable capacité de la nature à se recycler, et quelques champignons et bestioles qui y participent activement. « Incroyables », également, ces excroissances en forme de bille, d’ananas ou de pépin, accrochées aux feuilles ou aux branches : « des galles », provoquées par la ponte d’un insecte. « Peu de gens les remarquent, pourtant la forêt en est pleine. Pas besoin de partir loin pour s'émerveiller », indique Olivier Embise. Un peu plus tard dans la journée, à l’aide d’un kamishibaï, il leur racontera la vie du cerf, un animal emblématique des forêts ardennaises.
Photo : Sophie Lebrun
Effet (positif) de groupe
Au fil des activités, l'occasion est donnée aux participantes de partager leurs savoirs et leurs expériences de la nature. Mireille confie que son fils de 7 ans aime se balader, « s’inventer des histoires de dinosaures au départ d’un petit élément de la nature ». Marjorie met en valeur des connaissances en botanique acquises en option horticulture. Sabine et Laurie racontent un atelier « lecture hors des murs » organisé par la bibliothèque de Libramont : « On était dans les bois. On a écouté un long passage de roman, adossées à des arbres, une couverture sur les genoux. C’était super ! »
En route vers un verger pour y cueillir des pommes, les participantes confient leurs premières impressions. « J’adore, je découvre plein de choses sur la nature ici ! Dans ces ateliers que nous propose DEFITS, j’apprends aussi à apprécier le contact avec les autres, ce qui n’est pas évident pour moi. » « Moi qui sors peu et qui ai eu pas mal de soucis de santé, ça me redonne du punch. Et là, je vais noter deux ou trois choses à expliquer à mes petitsenfants. » « Ici, dans la nature, j’oublie mes soucis, et le confinement que j’ai très mal vécu. Et ça me fait énormément de bien d’être en groupe, entre adultes – je passe beaucoup de temps seule ou avec mes enfants. » L’appel de la nature semble fonctionner.
« On n’écouterait pas, un moment, le bruit de nos pas dans la forêt d’automne ? Ecoutez ces craquements et ces frottements », suggère Mireille.
Photo : Sophie Lebrun
Reprendre pied
« Le service d’insertion sociale (SIS) accompagne des personnes en rupture sociale plus ou moins marquée, fragilisées par un accident de la vie ou par des problèmes multiples (dépression, perte d’emploi, vécu familial compliqué, assuétudes…). Il les aide à reconstruire un projet de vie, explique Laurie Bouillon, de l’association DEFITS. Le SIS est un passage, pour aller mieux et pouvoir ensuite aller vers une formation ou la recherche d’un emploi. Il les aide à se recréer d’abord des “bases” : prendre un rythme de vie “active”, manger sainement, sortir de chez soi, rompre l’isolement… Les objectifs de l’insertion sociale sont la confiance en soi, l’autonomie, le bien-être, et la participation à la vie sociale et culturelle. Nous essayons de leur faire revivre des expériences positives de vie en groupe. » Les bénéficiaires sont ainsi invité·es à participer à diverses activités, notamment des ateliers qui touchent à l’art, à la cuisine, à la création couture ou – comme raconté cicontre – à la nature.
Crumble aux pommes et au spéculoos
Ses deux paniers remplis de pommes, le groupe rejoint le bâtiment du CRIE pour y pique-niquer, avant de rallier l’espace feu, dans le bois. On se répartit les tâches : fendre des bûches, éplucher les fruits, les faire cuire, allumer le feu. Au menu : crumble au spéculoos. « Chez moi, je ne cuisine plus beaucoup. Mais c’est tout autre chose de le faire à l’extérieur, avec des fruits qu’on a récoltés, et en discutant. Il y a de l’ambiance », se réjouit Sabine. « Cuisiner sur le feu, c’est très fédérateur et convivial, acquiesce Olivier Embise. Je me souviens d’une dame syrienne, qui restait très en retrait. Quand on a commencé à cuisiner, elle s’y est mise avec joie, en montrant son savoir-faire. »
Et pour ne pas laisser retomber le soufflé convivial, rien de tel qu’un jeu de mimes rigolo, qui sert le cerf à toutes les sauces (cerf paon, cerf cueille, des cerfs…). L’art(isanat) a aussi sa place. L’animateur sort ses Opinel, livre quelques conseils d’utilisation, et propose de sculpter de jolis stylos dans des tiges de noisetier. Chacun·e peut ensuite, en mots ou en dessins tracés à l’écoline, laisser libre cours à sa créativité, ou mettre sur papier ses impressions de la journée.
Celle-ci est, manifestement, une réussite : « C’est le bonheur ! », « On a fait et appris tellement de choses », « Et quel calme ici ! », « Je me sens apaisée », confient les participantes. Leur accompagnatrice épingle, elle, « la bienveillance et l’entraide qui se créent au sein de groupes pourtant hétéroclites, lors de ces ateliers ».
Olivier Embise écoute attentivement ces réactions. « Parfois, les participants ont du mal à dire comment ils ont vécu l’activité, sur le moment. Mais il arrive que je les recroise, en balade dans les environs, et là, ils m'expliquent que ces journées ont été positives pour eux. »
Photo : Sophie Lebrun
Quelques conseils
Le bien-être des participant·es est un objectif central des sorties avec des groupes de personnes fragilisées et/ou peu habituées aux activités dans la nature.
Olivier Embise cite quelques points d’attention :
- veiller à un accueil chaleureux, avec notamment des boissons chaudes ;
- avoir un stock de vêtements chauds et/ou imperméables à prêter aux participant·es, si besoin, pour assurer leur confort ;
- instaurer un climat de confiance : pas d’obligation de participer à tout, on peut parfois rester en retrait d’une activité ;
- prendre le temps : marcher à un rythme assez lent, réserver des moments de pause, s’adapter aux besoins du groupe ;
- privilégier l’action (cuisiner, fabriquer, manipuler…) et les approches ludiques et sensorielles (toucher, sentir et goûter des plantes sauvages, par exemple). De quoi créer une ambiance conviviale et inclure des personnes qui ne lisent ou ne parlent pas bien le français.
Infos : www.criesthubert.be
Pour les personnes en insertion sociale, ce CRIE anime également un potager et des balades nature, en partenariat avec le CPAS de Marche, et propose des stages d’immersion nature de deux jours (à la demande).
(1) DEFITS (Développement, Encadrement, Formation, Intégration, par le Travail et la Socialisation) est une association émanant des CPAS de Libin, Saint-Hubert, Tellin et Wellin, qui a pour objet de favoriser l’insertion sociale et/ou professionnelle de personnes sans emploi.