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Article Symbioses

L’école du dehors : ce qui s’y vit, ce qui s’y vise

L’école du dehors : ce qui s’y vit, ce qui s’y vise

L’école du dehors : ce qui s’y vit, ce qui s’y vise

Décembre 2022, par Sabine DARO, coordinatrice de l’ASBL Hypothèse et enseignante en didactique des sciences – HELMo – Liège
Un article du magazine Symbioses n°136 :  Dehors pour apprendre


Beaucoup d’enseignant·es font école dehors, dans la nature. Mais comment utiliser ce contexte pour apprendre en sciences ? Quels sont les malentendus d’apprentissage ? Echos d’une recherche collaborative. 

 


L'ASBL Hypothèse a pu mener l’année scolaire dernière une recherche (1) autour des liens entre l’école du dehors et les apprentissages scolaires. Trois groupes représentant une cinquantaine d’enseignant·es du fondamental, des chercheuses-formatrices et des formatrices d’enseignants se sont réunis à plusieurs reprises, dans le cadre de la formation continue.

Après une exploration des ressources et fichiers d’activités publiés à destination du corps enseignant, un travail d’enquête a démarré auprès des enseignant·es partenaires pour leur permettre d’évoquer leurs pratiques.

Symbioses 136 Dehors pour apprendre

Photo : Thierry Gridlet

Pourquoi s’investissent-ils dans l’école du dehors ?

Pour les enseignant·es participant à la recherche, il s’agit de développer le plaisir, le bien-être, le vivre ensemble, le respect de soi et de l’autre, le lien avec la nature. C’est aussi une façon de reconnecter l’enfant au monde dans lequel il vit et dont il fait partie. Les activités évoquées correspondent d’abord à une éducation par l’environnement centrée sur la personne (dimension psychosociale), telle que la décrit Christine Partoune (2020) (2): « Les activités d’éducation par l’environnement centrées sur la personne privilégient l’approche affective et sensorielle du milieu afin de développer sa sensibilité et une meilleure connaissance d’elle-même. Elles accordent une place importante à l’expression personnelle et au développement de la créativité. Elles privilégient une relation agréable et émotionnellement intense avec l’environnement. Elles ont aussi pour but de prendre conscience de l’importance de l’environnement dans la construction de notre identité et visent à renforcer les attaches avec son environnement ».

Mais qu’en est-il des apprentissages disciplinaires ?

Les enseignant·es interrogé·es affirment que l’école du dehors permet de placer les enfants face au concret et au réel. C’est aussi un pilier pour la motivation, cela donne du sens à ce que l’on fait et permet d’apprendre autrement, par l’observation, les sens, le mouvement, l’expérience. Les propos s’accordent sur l’idée que l’on apprend mieux dehors, mais peu précisent l’objet de cet apprentissage, ni en quoi ce dernier est favorisé. 

La place des apprentissages disciplinaires

La mise en dialogue de toutes les données recueillies a permis de dresser un modèle des interactions pédagogiques qui peuvent avoir lieu en dehors de la classe. Hypothèse l’a représenté sous forme de schéma (voir ci-dessous), distinguant ce qui se vit et ce qui se vise lors de l’école du dehors. Quatre zones ont été circonscrites, qui correspondent à des tendances types pour les activités d’apprentissage vécues dehors :

  • zone 1 « Je me débrouille dehors » (l’enfant scout)
  • zone 2 « Je me sens bien dehors » (l’enfant des bois)
  • zone 3 « J’apprends le dehors » (l’enfant naturaliste)
  • et zone 4 « J’apprends dehors » (l’enfant élève dehors)

De nombreux ouvrages récemment édités proposent des activités à faire vivre dehors aux élèves et évoquent tous les bienfaits que ce contexte apporte à l’enfant. A l’analyse, la plupart de ces ressources présentent des activités situées plutôt dans les zones 1 (apprendre à faire un feu, marcher sur tous les types de terrain, faire une cabane…) et 2 (reconstituer la palette de couleurs de la nature en automne, reconnaître un arbre au toucher, écouter les sons, prendre conscience de la météo…). Pour la catégorie 3 (reconnaître les oiseaux, fabriquer des nichoirs, suivre des traces d’animaux et les identifier…), certain·es enseignant·es disent faire appel à des personnes ressources. Dans les outils analysés, la zone 4 – liée aux apprentissages disciplinaires – est souvent moins décrite.

Certains répertoires d’activités consultés séparent bien les moments plus informels de jeux et activités libres des activités dites d’apprentissage, scolaires ou pédagogiques. Dans d’autres ressources, les deux se côtoient sans distinction. Mais dans un cas comme dans l’autre, ces activités annoncées comme étant des activités d’apprentissages disciplinaires semblent le plus souvent anecdotiques, situées dehors, certes, mais décontextualisée d’un processus didactique précis.

Eviter la leçon de choses

Les pratiques déclarées des enseignant·es du groupe de recherche nous ont par ailleurs amené·es à identifier certains écueils ou malentendus didactiques. Parmi ceux-ci, relevons en deux.

Tout d’abord, nous avons noté une contradiction entre une intention pédagogique et la pratique effective sur le terrain. Alors que les enseignant·es pensent être dans une pédagogie active et constructiviste (3), leurs pratiques du dehors ressemblent plus à une pédagogie transmissive, uniquement orale, sous forme de questions/réponses entre l’enseignant·e et les élèves à propos des différentes découvertes fortuites réalisées dehors. Devant les événements vécus dehors, peu d’enseignant·es passent du constat et de l’observation à un processus d’apprentissage effectif.

L’école du dehors inciterait-elle à un retour de la « pédagogie de la leçon de choses » ?

C’est-à-dire une pédagogie très descriptive, qui n'entraîne pas le raisonnement des élèves. La didactique des sciences a pourtant bien évolué. Elle nécessite de faire émerger un questionnement qui cherche des explications et pas seulement de collecter des informations. Plutôt que la description d’une fleur, d’un champignon ou de savoir ce que mange la fourmi, l’enseignement de la biologie vise plutôt à comprendre comment une plante se reproduit, comment la matière se décompose, ou encore les relations d’équilibre au sein d’un écosystème. Ce qui est nettement plus ambitieux. 

Symbioses 136 Apprendre dehors 4 axes de l'école du Dehors

Illustration: Julie Ramboux
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Structurer les apprentissages

Les chercheurs et chercheuses ont pointé un autre écueil récurrent : les enseignant·es structurent peu ce qui a été appris.

Cela se résume souvent à une discussion orale. Les traces sont peu nombreuses et, si traces il y a, celles-ci expriment ce qui s’est fait dehors mais peu relatent ce qui s’est appris dehors. Comme si « faire » et « voir » suffisaient pour apprendre. Pourtant, il est nécessaire de formaliser les apprentissages, par exemple par des structurations écrites, pour passer de « faire » à « apprendre », pour que « des mains » cela remonte à « la tête ». Ce malentendu didactique, qui donne la primauté à l’action sur la pensée, peut s’envisager de manière générale dans toutes les disciplines, mais est peut-être plus prégnant dans les disciplines scientifiques. Le risque est fréquent de voir alors des élèves centrés sur l’action et qui ne perçoivent pas les liens entre certaines tâches et leurs finalités scolaires (4). Ces élèves restent sur le sens premier de la tâche qui leur est proposée, c’est-à-dire le sens quotidien, ordinaire, sans y déceler le sens « second » lié aux enjeux scolaires.

Par exemple, ce n’est pas parce que les élèves ont fait fondre des glaçons ou de la neige de différentes manières qu’ils ont construit le concept de changement d’état de la matière ou du rôle de la chaleur dans cette transformation de la neige en eau liquide.

Sylvain Connac (5), dans le dossier que Les Cahiers pédagogiques consacrent à Apprendre dehors, alerte également sur les risques de malentendus scolaires que peut entraîner le fait d’enseigner dehors et sur les écarts entre les élèves que peut exacerber cette pratique : « En conduisant des élèves en extérieur, l’enseignant prend le risque de voir certains de ses élèves considérer cette sortie comme une récréation ou un temps de pause, alternatifs aux moments d’apprentissages et orientés principalement vers le dépaysement et le plaisir. Ainsi, l’enseignant augmenterait les malentendus scolaires en laissant croire que l’objectif de profiter pleinement du moment serait suffisant pour en tirer les bénéfices cognitifs. »

Une nécessaire complémentarité

Si l’école du dehors devient régulière et fréquente, il faut qu’elle réponde aussi aux missions premières de l’école : apporter à toutes et tous les connaissances de base et les modes de pensée des différentes disciplines. Les enseignant·es doivent se réemparer de ces aspects. Cela ne signifie pas que les autres dimensions – se débrouiller dehors, s’y sentir bien et apprendre la nature – soient moins importantes. Nous défendons au contraire qu’une complémentarité des expertises est nécessaire – milieux associatif et formateur·ices d’enseignant·es, didacticien·nes des disciplines – pour atteindre tous les objectifs ambitieux de cette pratique stimulante. Il y va de la pérennité de l’école du dehors, audelà de l’engouement actuel. 

Des pistes construites ensemble

Comment utiliser le contexte de l’école du dehors pour mener des situations d’enseignement/apprentissage qui répondent aussi aux exigences des didactiques disciplinaires en sciences ?

Lors des journées de travail collaboratif, les chercheusesformatrices d'Hypothèse ont apporté un éclairage théorique en didactique, contextualisé dans une courte séquence vécue par les enseignant·es et transférable à leur classe. Par la suite, les enseignant·es ont construit en sousgroupe des séquences sur base d’éléments fortuits de leur vécu dehors, qu’ils et elles ont testées avec leur classe. Suite à une analyse réflexive des actions menées, des fiches d’activités ont été rédigées et sont désormais consultables sur le site web www.apprendredehors.be


(1) Recherche collaborative Naturellement élève, pas si simple !, menée par l’ASBL Hypothèse, grâce à un soutien du Ministère de l’Environnement et du SPW (2022 - en cours de publication)
(2) C. Partoune, Dehors, j’apprends, éd. Edi.pro, 2020
(3) Le constructivisme en pédagogie croit en un·e étudiant·e actif·ve, qui construit sa propre connaissance en interaction avec les autres élèves et l’enseignant·e.
(4) E. Bautier et R. Goigoux, Difficultés d’apprentissage, processus de secondarisation et pratiques enseignantes : une hypothèse relationnelle, Revue française de pédagogie, volume 148, pp. 89-100, 2004.
(5) S. Connac, Les limites de l’école du dehors, Cahiers pédagogiques N°570, éd. CRAP, juin 2021 

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