La conférence gesticulée, un bel OVNI*
La conférence gesticulée, un bel OVNI*
1er trimestre 2021, par Sophie Lebrun
Un article du magazine Symbioses n°129 : L'environnement (se met) en scène
*outil vivant non identifié
Au croisement de la conférence et du spectacle, la conférence gesticulée a le vent en poupe. Eclairage.
Forme scénique hybride et souple, elle s’immisce partout : dans les théâtres, les colloques scientifiques, les écoles, les projets d’éducation populaire, les festivals… Elle n’appartient à personne : elle est pratiquée par des citoyen·nes, des comédien·nes, des expert·es, des animateurs·trices... La conférence gesticulée se situe au croisement de la conférence et du théâtre. Bien conçue et menée, elle distille des questions et des savoirs… sans en avoir l’air. Sur son site conferences-gesticulees.be, un collectif de gesticulant·es belges en rappelle les ingrédients de base : « une forme narrative », un mélange entre « le vécu du/de la conférencier·e (les “savoirs chauds”) et les éléments de théorie (les “savoirs froids”) » et, idéalement, un prolongement sous la forme « d’atelier de réflexion et/ou de mise en action » en lien avec le(s) thème(s) évoqué(s). L’émotion et l’interaction sont les bienvenues, et l’humour, souvent convoqué, dans la conférence gesticulée.
Expression citoyenne engagée
Nombreux sont ceux qui la voient comme une forme d’expression citoyenne bienvenue sur des questions politico-sociétales, « à côté de celle des experts omniprésents dans les médias de masse », témoigne Laurent Chinot. Le temps de sa conférence gesticulée Poussins ! (1), ce monteur image quitte ses écrans pour plonger avec enthousiasme dans « l’art vivant, la communication directe avec un public » et aborder une problématique à laquelle il s’intéresse depuis cinq ans : l’élevage intensif. Au-delà de ce sujet, sa conférence prend quelques détours par l’enfance et la transmission. Ce « tressage » entre différents thèmes est une manière de « dynamiser la conférence gesticulée », explique Laurent Chinot, qui a suivi la formation Monte ta conf’ de L’Ardeur, mouvement d’éducation populaire nantais (voir adresses p.24). « La conférence gesticulée, insiste-t-il, permet de donner un atterrissage plus politique, à la fin, de lancer des questions, des ouvertures, des pistes concrètes. Le sujet de l’élevage intensif, par exemple, touche à notre manière de consommer, de vivre. »
Pour L’écologie quand il est trop tard (2), c’est la nécessité de « prendre les choses par un autre angle, sur un autre ton » qui a poussé Guillaume Lohest (animateur et président des Equipes Populaires) et Matthieu Peltier (professeur de philosophie à l’EPHEC) à adopter une forme hybride, en embarquant le musicien Olivier Terwagne. « On voit s’accumuler les conférences, les livres, les contenus théoriques, réflexifs, politiques sur l’écologie, et pourtant on a l’impression que rien ne bouge, explique Guillaume Lohest. De plus, nous venions avec un propos ouvertement sombre - lucide -, pas édulcoré » (NdlR : l’effondrement).
Questions de genres
Certes, la conférence-spectacle L’écologie quand il est trop tard n’est pas une conférence gesticulée classique : elle convie la musique et non le théâtre, et pratique l’alternance (entre morceaux de conférence et de musique) plutôt que le mélange des genres. Mais elle poursuit le même but. Les chansons créées et interprétées par Olivier Terwagne en lien avec le propos apportent « un autre regard, une forme dynamique, de l’humour, et nourrissent l’autodérision que nous amenons, par ailleurs, avec Matthieu » indique Guillaume Lohest.
La comédienne française Sofia Teillet, elle, balade le public dans le monde fascinant de La sexualité des orchidées (3), dont le genre Ophrys a développé des stratagèmes efficaces pour attirer certains insectes mâles et enclencher la pollinisation. Dans sa conférence-spectacle assez proche d’une conférence gesticulée, il est donc question de botanique et d’entomologie. Mais pas que. Les relations homme-femme, les relations humaines plus largement et la relation au vivant en général, irriguent le spectacle. « Au fil de mes recherches, confie Sofia Teillet, j’ai découvert à quel point le monde végétal est intelligent, actif. Le végétal a un territoire, il communique avec d’autres êtres, développe des stratégies pour survivre, faire groupe, se nourrir, se reproduire. Tout cela peut nous parler. »
L’idée était-elle d’intégrer un propos plus ou moins « politique » ? « Tout dépend de ce qu’on entend par politique. Mais le simple fait qu’on soit seule, sans effet scénique, à parler d’un sujet, donne quelque chose de plus engagé. On assume la radicalité de ce point de vue. »
(1) Poussins ! Ou comment l’industrie alimentaire s’occupe de ses animaux… et de ses humains - www.conferences-gesticulees.be > Nos conf’s
(2) L’écologie quand il est trop tard
(3) La sexualité des orchidées, du 13 au 17 avril à l’Atelier 210 à Bruxelles - www.amicale.coop
Photo : France Themelin
L’écologie quand il est trop tard, une "conférence-spectacle" proche de la conférence gesticulée